Littérature et livres numériques publié le 12/11/2018

Livres numérisés, livres enrichis, livres augmentés, livres interactifs … Quelles différences ? Quelles spécificités ?

Si l’on s’accorde à définir le livre numérique comme un ouvrage dématérialisé, destiné à être lu sur un écran, il reste un objet difficile à cerner tant ses formes sont multiples.
De façon schématique, on peut dire que l’édition numérique se partage entre trois modèles éditoriaux : le livre homothétique (copie conforme du livre imprimé), le livre augmenté ou enrichi qui prend la forme d’une application multimédia interactive et les créations numériques issues de la web littérature.

Les livres homothétiques

Par livre homothétique, on entend le livre en format numérique identique au livre papier préexistant ou coexistant.
Il est développé par les établissements culturels qui ont recours à la numérisation pour diffuser et préserver leur fonds (comme par exemple Gallica de la BNF) et par les éditeurs traditionnels qui adaptent leur catalogue existant au format numérique.

Les livres enrichis ou augmentés

Le livre enrichi se définit comme un livre qui inclut des sons, des vidéos ou des animations donnant à voir et à entendre un contenu multimédia dépassant largement le seul domaine de l’écrit.
C’est le cas des manuels scolaires numériques.
Dans le domaine de la littérature classique, un texte numérisé peut s’accompagner de ressources multimédias et de liens hypertextes. Les œuvres littéraires patrimoniales sont donc « remédiatisées ».

Remédiatiser le patrimoine littéraire signifie « donner accès aux œuvres par une redistribution des contenus dans un ordre du discours qui n’est plus forcément celui linéaire de l’auteur, mais qui organise une dialectique par des enrichissements de médias.
C’est aussi restituer ce patrimoine dans un livre-interface, qu’il s’agit de modéliser dans la perspective d’une construction du sens et des connaissances, un livre interface qui, en définitive, propose une lecture du monde.
L’enjeu de remédiatisation apparaît alors comme l’exigence de construire un discours interactif et multimodal, en réseau avec des documents qui ouvrent sur les collections de la bibliothèque virtuelle, voire sur le Web. »
(Arnaud Laborderie 2015)

C’est précisément ce qu’a fait la BNF avec Candide de Voltaire en développant une application iPad, couplée à un site Web.
L’application propose trois modes d’entrée dans le conte philosophique :

  • Le « livre » qui propose l’affichage synchronisé du texte et du manuscrit de la BNF ainsi qu’une écoute du texte interprété par Denis Podalydès.
    Des liens vers des dictionnaires et un appareil critique facilitent l’entrée dans l’œuvre ;
  • Le « monde » qui représente le voyage de Candide sur une carte ouvre une exploration en réseau des grandes thématiques du 18ème siècle ;
  • Le « jardin », espace collaboratif qui permet à chacun de créer et de partager son propre carnet de lecture.

Cette application propose donc au lecteur, de découvrir ou redécouvrir une œuvre majeure de Voltaire en proposant des documents de statuts différents qui dialoguent entre eux.

Dans ce type d’édition, la place de l’image est prépondérante et certains textes sont essentiellement enrichis d’animations.


La création littéraire numérique ou web littérature

Philippe Bootz, dans Les Basiques : la littérature numérique, définit la littérature numérique comme

« toute forme narrative ou poétique qui utilise le dispositif informatique comme médium (moyen de communication) et met en œuvre une ou plusieurs propriétés spécifiques à ce médium ».

L’hypertexte, la littérature générative et la littérature animée sont les principaux genres de cette littérature dont la caractéristique première est l’interactivité.

Le récit hypertextuel

Un hypertexte est une structure particulière d’organisation d’une information textuelle. Des blocs d’information textuelle (les nœuds) sont liés les uns aux autres par des liens de sorte que leur consultation (la navigation) permet à l’utilisateur de passer d’un nœud à l’autre à l’écran par activation du lien qui les unit.

R. Queneau avec Un conte à votre façon (1967) a ouvert la voie au récit hypertextuel.
Ce texte a une structure en arbre. A chaque embranchement, le récit propose autant de solutions qu’il y a de branches.
Le lecteur construit lui-même sa version du conte en choisissant à chaque étape l’une des solutions proposées. Avec le numérique, les possibles narratifs sont réalisés par la navigation du lecteur.

C’est ainsi que Comme si de rien n’était de Charles Guillocher et Joan Vidal Andres explore la technologie hypertexte dans le but de mettre en parallèle deux interprétations possibles d’une même situation narrative.
Le lecteur en fonction des choix effectués navigue entre un polar et une romance à l’eau de rose.

2. La littérature générative

La littérature générative recourt à un générateur de texte. Un générateur de texte est un programme qui crée du texte à partir d’un ensemble de règles qui constituent une grammaire et d’un ensemble d’éléments préconstruits qui forment un dictionnaire.
Les Cent mille milliards de poèmes de R. Queneau est considérée comme l’œuvre fondatrice de l’écriture générative.
Les membres de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) puis de l’A.L.A.M.O (Atelier de Littérature Assistée par la Mathématique et les Ordinateurs) ont été les figures de proue de cette littérature.

Jean-Pierre Balpe a ainsi créé dans les années 80 des générateurs automatiques de textes qu’il a ensuite adaptés sur Internet.
Son générateur de haïkus en ligne Contre-Haïkus sollicite la participation (limitée) du lecteur :

« La poésie étant ce que de nos jours elle est, je refuse d’écrire des haïkus si vous n’en manifestez pas le désir en utilisant le bouton ci-dessous. Cependant, si vous en manifestez le désir, ma productivité poétique est infinie… »

peut-on lire sur la page d’accueil du site.

Il donne une autre implication au lecteur dans son œuvre narrative, Trajectoires, roman policier interactif et génératif pour Internet dont l’action se déroule à la fois en 1793 et en 2009.
À travers la lecture de pages générées par le programme, donc toujours différentes, le lecteur est invité à trouver le corbeau qui menace vingt-quatre habitants.
Les textes ne sont pas pré-écrits, mais les mots sont combinés, en temps réel, à partir de 96 logiciels d’écriture automatique et interactive capables d’engendrer les pages d’un roman sans fin, tout en ne laissant pas deviner leur origine informatique.
Cela signifie que chaque lecture, chaque actualisation de l’œuvre par une lecture interactive, est unique.

3. La littérature animée (ou cinétique)

La littérature animée ou cinétique désigne des réalisations faisant appel à une mise en mouvement du texte.
Cela signifie que les mots, les lettres, les phrases, c’est-à-dire les constituants linguistiques du texte, subissent des transformations temporelles et spatiales à l’écran.
Les signes utilisés peuvent provenir de différents codes (linguistique, musical, graphique, photographique, vidéo…). Les œuvres numériques animées sont principalement des œuvres narratives ou poétiques. BleuOrange, la revue de littérature hypermédiatique québécoise, publie depuis 2008 ce type d’œuvres.
Le lecteur peut y découvrir Tramway d’Alexandra Saemmer, un récit animé à dimension autobiographique, dans lequel l’auteur cherche à relater les souvenirs de son enfance un an après la mort de son père.


Le texte défile comme sur des rails, formant une bande passante, ou bien surgit dans des fenêtres que le lecteur peut ouvrir, fermer, déplacer.

Ainsi les œuvres numériques interactives métamorphosent le pacte de lecture et les modes de narration.
Du côté des auteurs, le numérique s’affirme progressivement comme un média métamorphosant les modes de narration.


Scénarios pédagogiques introduisant la littérature numérique en classe 

 Quand la lecture se donne à voir et à entendre : de la lecture numérique d’une œuvre à la lecture d’une œuvre numérique. Dans cette séquence (pdf de 698 Ko), Carole Guérin-Callebout (académie de Lille) propose à des élèves de troisième une lecture comparative de La Place d’Annie Ernaux dans une double version, papier et numérisée, et de Tramway, œuvre numérique d’Alexandra Saemmer.

 L’homme d’aujourd’hui en question : littérature numérique et art contemporain. Dans cette séquence, Françoise Cahen (académie de Créteil) propose à des élèves de première la lecture de Déprise, une œuvre interactive en ligne de Serge Bouchardon.

 Impossibilités du souvenir : de G. Pérec à la littérature numérique, formes du récit du XX° et XXI° siècles. Dans cette séquence Yaël Boublil (académie de Paris) propose à une classe de troisième la lecture d’œuvres numériques, Déprise de Serge Bouchardon et Tramway d’Alexandra Saemmer.

Pour conclure, un padlet de ressources disponibles en ligne

Livres numériques - Ressources