Apprendre à comprendre la littérature de jeunesse publié le 21/04/2009  - mis à jour le 18/01/2016

ou pour une pédagogie de la compréhension

Introduction

Lire des livres à l’école maternelle : 7 (bonnes) raisons (au moins) de le faire pour TOUS les élèves.

  1. Construire des pratiques, sociales, culturelles et langagières à propos des livres.
  2. Construire l’attention conjointe sur un objet culturel scolarisé.
  3. Comprendre les attentes et intentions de l’adulte, de l’institution.
  4. Construire un imaginaire culturel.
  5. Construire les valeurs de l’Ecole, de la Nation.
  6. Multiplier les expériences du monde, de soi...
  7. Se construire comme apprenti interprète.

I / Critères de choix des albums et des textes

Critère 1 : La mise en liens des expériences du monde.

Avant 4 ans les expériences convoquées dans l’album doivent renvoyer à des expériences vécues. Le rôle de l’enseignant sera de proposer à l’école des expériences à vivre et à mettre en mots. Il pourra s’appuyer également sur un vécu familial en restant vigilant sur la réalité de ces pratiques dans les familles.

Critère 2 : La mise en mots : les scénarios langagiers.

Le rôle de l’enseignant sera de repérer les non-dits ET de les expliquer. Exemple de scénario extrait de« Petit Ours Brun veut des histoires ». « Papa, tu me racontes le livre. Tout à l’heure Petit Ours Brun quand j’aurai fini d’arroser. Dis maman pourquoi là il pleure le chien ? ». Dans ce dialogue, il faut comprendre que le père est occupé à autre chose, il arrose. Cela n’a aucun lien avec la lecture du livre. Comment se fait le passage du père à la mère. Il faut supposer que POB tente sa chance avec un autre adulte. Quel est ce chien ? Quelle place dans l’histoire ? Il faut supposer que c’est un personnage du livre....

Le rôle de l’enseignant sera de choisir des scénarii adaptés à l’âge des élèves. Il devra repérer ce qui fait obstacle à la cohésion et à la cohérence et complètera lors de la séance avec des explications.

Critère 3 : La mise en images du monde : la lisibilité des illustrations.

Depuis une dizaine d’années la dimension esthétique a pris le pas sur le contenu des textes dans la littérature de jeunesse. L’enseignant doit veiller à ce que cette qualité ne soit pas un frein à la compréhension. Une abondance de détails ou à contrario une trop grande stylisation peuvent être une difficulté supplémentaire. L’usage de symboles, de codages, de stylisations peut rendre la compréhension plus difficile car la comparaison avec le monde connu sera plus ardue.

Le rôle de l’enseignant sera de choisir des illustrations lisibles, stéréotypées, explicites.

Critère 4 : La mise en récit : l’élaboration d’une cohérence narrative

Le rôle de l’enseignant sera de choisir des albums où l’identification des personnages (principal, secondaire) est accessible et où les liens de causalité et conséquence peuvent être construits. Si ces éléments font obstacle, le maître veillera à étayer la compréhension par des explications ou autre. Les images sont souvent un obstacle à la compréhension de la cohérence narrative.


II /Comprendre un texte écrit, un album

A l’école maternelle tout texte LU est, de fait un texte qui résiste car il faut comprendre du langage écrit.

1/ La spécificité du langage écrit

  • L’oral et l’écrit : des formes très différentes : Jusqu’à l’âge de 3 ans, les enfants n’ont l’habitude de gérer que du langage oral. Or en français, la forme écrite est très éloignée de la forme orale. A l’écrit, on a des juxtapositions de phrases qui n’ont aucun lien entre elles. « Il pleut. Le pique-nique est annulé ». Les redondances de l’oral aident à la compréhension. On utilise des petits mots qui expliquent mieux les enchaînements.
  • La chaîne référentielle : A l’oral dans 95% des cas, on reprend le pronom personnel : « La maîtresse, elle est partie. » A l’écrit on utilise beaucoup d’anaphores : « le prince, le fils du roi, le beau jeune homme, il lui donne ». Pour certains enfants cela signifie qu’il y a plusieurs personnages.
  • Les marqueurs orthographiques : A l’écrit on voit les marqueurs orthographiques : (genre, nombre). La lecture orale crée des obstacles à la compréhension car on ne les voit pas.
  • Récit à la première personne : Pour un enfant jusqu’à 4 ans ½, tout texte écrit en « je » est un texte où le maître parle de lui.

2/ Les savoirs littéraires

  • Comprendre la permanence du personnage : À un premier niveau, il faut comprendre que le personnage représenté à chaque page est toujours le même. Pour aider à cette mise en place, en PS, on a intérêt à travailler avec des séries comme « Petit ours brun ».
    Ensuite, il faudra aussi comprendre qu’un personnage peut évoluer au cours de l’histoire, subir des transformations, et rester le même.
    Ex : Matthieu a peur de tout mais à la fin de l’histoire il est différent : c’est le même mais il a changé.
  • Connaître des stéréotypes littéraires : Des exemples (propres à notre culture) : le renard est rusé, le lapin mange des carottes, le loup est méchant, la fille est « gourde », le jardinage c’est pour les papas…Les systèmes des personnages : les grenouilles vont avec les princes charmants, les crapauds avec les sorcières, les ogres avec les enfants....
  • Connaître des archétypes littéraires : ce sont des personnages qui n‘existent que dans la littérature et non dans le réel (ex : sorcière, ogre…)

3/ Apprendre à convoquer des savoirs encyclopédiques

Ex : les savoirs sur une époque, sur un lieu, sur le monde (domaine de la découverte du monde).

4/ Construire les savoirs faire de l’autre

Construire un personnage comme un alter ego, une représentation de la vie psychique du personnage. Par exemple, connaitre sa pensée, sa motivation. Il faut avoir une représentation de la pensée du personnage pour comprendre un texte. C’est ce que l’on appelle « la théorie de l’esprit » qu’on peut aussi appeler la « co-pensée ». Or souvent, les enfants savent bien raconter des histoires, ils possèdent la chronologie mais pas l’implicite des textes. Exemple : ils savent bien raconter le petit chaperon rouge mais pas répondre à la question « Pourquoi le loup se met dans le lit de la grand-mère ? » Il faut donc construire ces savoir-faire.


III Organiser 3 types de lecture à l’école maternelle

1/ La lecture répertoire

Des lectures plaisir, nécessairement quotidiennes, très courtes, lues à voix haute par le maitre (ritualisées et SANS activité scolaire). Chaque lecture doit être reprise au moins 3 fois, en petits groupes ou en grand groupe. Elle va permettre de construire le répertoire en commun. Possibilité de poser une question avant la lecture pour cibler l’écoute. Ex : demander à l’élève de donner un mot, une phrase, dire le moment qu’il a préféré.

2/ La lecture médiatisée

C’est la seule qui fait l’objet d’une pédagogie spécifique de la compréhension. Elle va être fortement médiatisée par le maître lors de séquences d’apprentissage. Le maître choisit un album ou un passage qui fait obstacle dans les apprentissages ou dans les savoirs du monde. Ce type de lecture doit avoir lieu de 5 à 10 fois dans l’année. La démarche est explicitée ci-dessous dans la partie « Outils pour aider à la compréhension ».

3/ La lecture autonome

La lecture autonome peut être la suite de la lecture médiation où le maître a donné les outils de la compréhension. Il est important de faire des rappels sur les connaissances, les savoirs qu’on a sur la collection ou sur le thème abordé dans le livre, les enfants ont suffisamment de savoirs pour construire une compréhension.


IV Des outils pour aider à la compréhension :

Préparer le texte lu (c’est-à-dire proposer une médiation).

L’enseignant peut :

  • proposer un résumé qui raconte la fin.
  • raconter oralement en donnant beaucoup d’explications.
  • raconter d’autres fois en donnant de moins en moins d’explications. Lors de La 2ème version, on diminue les éléments complémentaires, à la 3ème version on se rapproche du texte et à la 4ème version on lit.
  • expliquer le contexte du livre. Ex : « Tu seras funambule mon fils » On raconte le monde du cirque en détails en s’appuyant sur les images.
  • faire vivre des objets qui aident à la compréhension (accessoires, figurines,…).Dans l’album « Une petite poule rousse » l’enseignant apporte les objets de l’histoire : ciseaux, pomme… Ces accessoires aident à la compréhension.

Les enfants comprennent ainsi que le langage oral et le langage écrit appartiennent à une même langue.

Un même album à différents âges.

Un même album pourra être abordé de façons différentes selon les niveaux. Ex : « Roule galette ». En PS : raconter plusieurs fois. En MS : raconter puis lire. En GS : lire directement.

Attention toutefois à ne pas cultiver la confusion entre narration à l’oral et oralisation d’un texte écrit : Il faut être très clair entre lire et raconter : En racontant on ne fait pas semblant de lire. Quand on lit rien ne change, l’écrit est figé. En partant d’un même support on peut par contre raconter plusieurs histoires différemment.

Le texte seul

Première lecture du texte sans les images. Choisir des albums dont le texte est autonome des images, très peu d’albums entrent dans cette catégorie. On peut taper le texte et le lire.

La lecture dramatisée

Donner à entendre sa propre compréhension. L’enfant s’appuie sur les intonations pour comprendre le sens, les variations intonatives sont la première grammaire de l’enfant. Plus les enfants sont jeunes, plus il faut pratiquer la dramatisation. Il faut donner une voix particulière à chaque personnage, donc éviter les albums contenant trop de personnages.


Les livres des familles et les livres de l’école :

Réduire le décalage entre la littérature de jeunesse populaire et la littérature de jeunesse de l’école.

Les livres populaires sont achetés dans les supermarchés, ce sont souvent des objets interactifs (languettes à soulever…) Ils sont très souvent issus des séries télé. Les livres objets représentent bien les valeurs véhiculées dans ces familles où on agit sur le monde. Il faut leur faire une petite place à l’école maternelle, accepter d’en lire quelques-uns, en avoir à disposition dans la bibliothèque.
Il faudrait que la littérature des familles entre à l’école. Rejeter « Oui Oui », « Martine » c’est rejeter la culture familiale de l’enfant surtout que les livres de l’école présentent trop souvent un monde idéal où il n’y a pas de problèmes d’argent, où les adultes sont formidables…
Exemple : le rituel du coucher où les parents sont toujours bienveillants et patients. Seules 17 à 18% des familles lisent des albums le soir à leurs enfants et ...75% de ces parents sont des enseignants !

Les lectures dialoguées maître-texte-élèves

Pour construire progressivement la co-pensée, il faut amener les enfants à pourvoir répondre à des « questions qui tuent » autour des verbes croire, penser, comprendre (à quoi pense le personnage quand il fait ça ?). Ex : dans « Roule galette », comment se fait-il que le renard arrive à manger la galette ?
Pour les plus jeunes ou les moins avancés, le maître va donner sa propre interprétation sur le langage intérieur des personnages (il se pose lui-même les « questions qui tuent »).
Il demandera progressivement aux enfants d’apporter leurs propres éléments de compréhension.

La différenciation pour les élèves en difficulté de compréhension

Proposer des séances supplémentaires préalables, en petits groupes (2 ou 3 élèves), voire individuelles. Choisir des propositions citées dans la partie « Préparer le texte lu ».

En conclusion, le travail de l’enseignant sera de choisir judicieusement les albums, préparer leur présentation, mettre en œuvre une pédagogie de la compréhension par la médiation textuelle.

Compte rendu réalisé par le le groupe départemental maternelle.