« Les Grecs : de sacrés profanes » 2/3 publié le 24/02/2011

La civilisation grecque

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2.c. Organisation religieuse : l’approche de la Pythie

La prophétesse au sens grec : celle qui parle à la place [du dieu], est nommée la Pythie, « prêtresse pythienne »), choisie parmi les femmes de la région. Son nom vient d’une épithète d’Apollon, dit pythien à Delphes, parce qu’il y avait terrassé le serpent Python. La Pythie était souvent âgée, et Plutarque nous apprend qu’elle pouvait avoir une cinquantaine d’années, ce qui, pour l’époque, est un âge avancé. Celle-ci s’exprimait en vers (du moins s’est-elle exprimée ainsi pendant longtemps ; Plutarque fait cependant remarquer qu’à son époque elle ne le faisait plus, sans pouvoir expliquer pourquoi), et ses propos confus devaient être interprétés par un collège de deux prêtres, assistés par cinq ministres du culte. Chose exceptionnelle, ces charges étaient attribuées à vie.
La marche à suivre pour consulter le dieu était la suivante :

  • le consultant (qui ne pouvait pas être une femme), s’acquittait d’une taxe versée à une confédération de cités  ; les consultations pouvaient être demandées individuellement ou collectivement, pour une cité, par exemple. Le paiement d’une surtaxe ou des services rendus à la cité de Delphes permettaient d’acquérir le droit de promantie , c’est-à-dire celui de consulter avant les autres, et ainsi de passer outre la liste d’attente qui pouvait être d’autant plus longue qu’on ne pouvait consulter la pythie qu’un jour par mois ;
  • on menait le consultant dans l’adyton (ἄδυτον / áduton) du temple d’Apollon ;
  • il y rencontrait la Pythie, qui s’était purifiée, avait bu l’eau de la Fontaine de Castalie de Delphes et mâchait des feuilles de laurier. celle-ci était installée sur un trépied ;
  • le consultant offrait un sacrifice sanglant au dieu ;
  • le consultant posait sa question à la Pythie, question que les prêtres avaient souvent remise en forme ;
  • la Pythie, enfin, rendait l’oracle du dieu, qui parlait à travers elle ; cette réponse devait être rendue claire par les deux prêtres d’Apollon. D’après les témoignages, dont ceux de Plutarque, la Pythie n’était pas visible, et l’on n’entendait que sa voix.

2.d. Rôle politique de l’oracle de Delphes

Outre un rôle religieux majeur dans le monde antique — en effet, l’oracle d’Apollon n’était pas exclusivement consulté par les Grecs — les oracles de la Pythie ont tenu une place importante dans l’organisation politique grecque, même si ils n’ont pas toujours soutenu les actions du peuple grec.

2.e. Rôle spirituel et intellectuel de l’oracle de Delphes

Bien que souvent défavorable à Athènes, l’oracle a pourtant appuyé son action colonisatrice. C’est ainsi que la légende rapporte que la colonie de Cyrène, en Libye, fut fondée grâce à un tel oracle : un certain Bathos était affligé d’un bégaiement. L’oracle lui avait conseillé pour sa guérison de fonder une cité à Cyrène ; ce faisant, il y vit un lion. La peur causée par cette rencontre fortuite le guérit définitivement de cette affliction. Il existe nombre d’exemples de ce type.
Apollon n’était, en outre, pas le seul dieu résidant à Delphes : Dionysos était dit y passer l’hiver et Athéna y était aussi honorée ; la coexistence de ces cultes faisait dire aux anciens que la présence de l’oracle était un gage de respect mutuel.
Enfin, la ville de Delphes baignait dans un climat de piété et d’effervescence intellectuelle. On s’y dépouillait de ses masques sociaux, à l’image d’Apollon qui, fondant la cité, dut se purifier du meurtre de Python. La philosophie y était pratiquée et encouragée, et c’est un oracle de Delphes qui aurait poussé Socrate à enseigner, après qu’un de ses disciples y aurait appris que son maître était le plus sage des hommes. Plusieurs devises philosophiques ornaient la ville : « rien de trop » (μηδὲν ἄγαν / mêdén ágan), inculquant la mesure et le rejet des excès, « connais-toi toi-même » (γνῶθι σεαυτόν / gnỗthi seautón), sur le fronton du temple d’Apollon, maxime enseignant l’importance de l’autonomie dans la recherche de la vérité (formule que Socrate reprendra à son compte dans le Charmide) et celle de l’introspection, ainsi qu’un très étrange « Ε », aussi sur le fronton du temple et sur la signification duquel les Grecs se sont longuement interrogés, et qui pourrait être une manière de noter le mot εἶ / eĩ, « tu es », sous-entendu « toi aussi une partie du divin » ? Quoi qu’il en soit, la présence de l’oracle a fait de Delphes le lieu par excellence de la révélation à soi.