Compte rendu du Festival d'histoire de l’art de Fontainebleau, 2017 publié le 04/09/2017

Festival de l’histoire de l’art de Fontainebleau, 7ème édition , 2-3-4 juin 2017

La 7ème édition du FHA avait pour thème principal « La Nature » et les « États-Unis » comme pays invité. A cette occasion s’est tenue l’Université de printemps de l’histoire des arts dont le sujet de réflexion principal était Le corps, entre nature et culture. C’est autour de ces sujets particulièrement riches que se sont déroulées des tables rondes, des visites guidées, des rencontres avec des artistes.

Programme de l'Université de printemps 2017. (PDF de 1.2 Mo)

Université de printemps d’histoire des arts - Juin 2017.

Vendredi 2 juin

Table ronde inaugurale : Le corps de l’élève en ses espaces

Quelle peut-être la place du corps de l’élève dans un espace d’apprentissage ?
Cette problématique fondamentale pour l’école a servi de fil conducteur aux trois interventions de spécialistes de design et de la pédagogie.

Caroline d’Aura a rendu compte de ses expériences en matière de création d’espace pédagogique en tant que designer à l’École de Design de Saint-Étienne. Dans le cadre du dispositif « Je participe à la rénovation de mon école ! » qui a mobilisé 9 écoles et 1000 élèves, elle a pu mettre en place une démarche impliquant tous les acteurs de la communauté éducative. Autour de questions simples :

Qu’est-ce que l’on fait ici ? Comment on utilise ce lieu ? Comment on range ses affaires ? Comment on s’assoit ?

Émerge progressivement un projet commun qui résulte de l’expérimentation.
 Pour plus d’informations

Agathe Chiron, designer et associée à des projets pédagogiques a présenté plus précisément la démarche en atelier qu’elle a mené pendant un an pour la mise en place d’une salle multifonction. Cette démarche de design partagée donne à l’élève un rôle équivalent à celui du designer. Cela suppose de faire accepter un travail de réflexion ouverte qui n’est pas confisqué par l’administration ou le corps enseignant.
A partir d’un cahier de charge clairement défini, 9 ateliers se sont succédé jusqu’à la réalisation :

  • Visite de la cité du Design
  • Métrage et appropriation de l’espace avec relevé de plan
  • Analyse des usages et des erreurs d’usage
  • Dialogue avec les agents et réflexion sur l’entretien
  • Analyse élargie des lieux et des espaces perdus
  • Mise en situation des enfants libres dans une position de lecteurs et découverte que la posture la plus fréquente est l’avachissement
  • Travail sur le rangement
  • Modélisation avec maquette
  • Esthétique

La réalisation abouti à une estrade-vague permettant la position assise comme allongée, avec un usage montant ou descendant. 4 ans après sa création cet espace fonctionne avec comme idée forte le plaisir d’être dans ce lieu.
 Quelques images de cette réalisation.


Clémence Mergy a proposé une lecture des formes scolaires innovantes. Si la classe traditionnelle demeure dominante une réflexion montre qu’elle n’est pas sans alternative. La révolution numérique s’accompagne d’une réelle dématérialisation dans l’espace scolaire. Elle est prise en compte par les Learning piazza. Cet espace est un contexte d’apprentissage où la lumière, la posture naturelle au travail sont favorisées dans le but de rendre l’élève autonome et efficace. La table, la chaise, la rangée laissent la place au sofa, au tabouret, au bar, au gradin, au tapis mousse pour être en chaussettes. Il s’agit d’un espace ouvert où la position assise disparaît face à l’avachissement.
Ces intervenantes collaborent à la plateforme de réflexion Archiclasse, comportant de nombreuses illustrations.

ORLAN, Le corps entre nature et culture, entretien avec Thierry Dufrene par Skype

Le travail d’ORLAN se présente d’emblée comme contre nature et se proclame manifeste de l’art charnel. Le travail d’autoportrait au sens classique s’envisage avec les moyens techniques contemporains. Les déformations successives transforment le corps en ready-made. La démarche d’ORLAN s’oppose néanmoins au body art, qui fait de la souffrance une catharsis et de la douleur un moyen de rédemption. ORLAN n’est pas de ces artistes qui cherchent les limites physiques et psychologiques par rapport à leur corps mais vit au contraire son corps comme plaisir. Après le manifeste elle a subi neuf opérations chirurgicales (qui ont toutes été pratiquées avec un chirurgien féminin).
Le travail d’ORLAN interroge le statut du corps autant que la diversité et la relativité des critères esthétiques. Cet art charnel met en question le statut du corps (y compris médical) et pose des questions éthiques à la société. Être féministe pour ORLAN c’est prendre conscience d’un projet de société humain qui rejette les discriminations. Son projet de chirurgie esthétique n’a ainsi pas pour finalité de devenir plus belle mais de déréguler les normes sociales. Certains chirurgiens ont d’ailleurs refusé les interventions demandées en raison de cette normativité dominante dans la société selon laquelle la beauté doit rester l’idéologie dominante. Ainsi, le silicone, usuellement placé sur les pommettes, est détourné chez ORLAN dans une greffe sur les tempes.
Elle soulève en outre un ultime problème éthique lié à l’espérance de vie accrue grâce à la technologie : la discrimination devant le droit à vivre plus vieux, puisque la science permet d’accroitre l’espérance de vie de ceux qui ont les moyens économiques de le faire et non tous. Enfin elle évoque le fait que la nature nous oblige à un certain nombre de choses dont nous ne voulons pas. La vieillesse est difficile à accepter, ou encore la grossesse, qui peut apparaître comme un contrôle insupportable en tant que femme. ORLAN assume aussi la porosité de sa démarche avec le transhumanisme. Elle parle des droits de L’HUMAIN et non des droits de L’HOMME. Son angoisse devant la mort est telle qu’elle a fait une pétition contre la mort !

Pour parcourir l’œuvre d’ORLAN


Samedi 3 juin

Atelier Le corps, le vêtement, les modes

Cet atelier conduit par Corinne Glaymann, IA-IPR d’Histoire des Arts à Paris, et Damien Delille, maître de conférence en Histoire de l’art et de la mode à Lyon II, s’était donné deux finalités :

  • Offrir des éléments de réflexion et de connaissance sur l’histoire de la mode
  • Proposer des pistes et des outils pédagogiques pour construire avec les élèves une réflexion dans le cadre des programmes avec corpus de documents.

La place de la mode et du vêtement dans les programmes scolaires  :

En cycle 4 elle peut trouver sa place dans les EPI, le PEAC en lien avec quelques unes des thématiques du programme d’histoire des arts.
Au lycée l’Histoire des arts entretient de nombreux liens avec le costume.
L’enseignement professionnel forme à la mode, aux vêtements et aux accessoires du CAP au BTS.

A partir de questions simples :

  • Pourquoi s’habille-t-on ?
  • Comment s’habille-t-on ?
  • Quels sont les rapports entre le corps, le vêtement et la mode ?

Les deux intervenants ont offert une perspective historique de leur sujet avec deux exemples de sujets corpus. Il a été rappelé qu’il existe 5 façons de s’habiller  : se draper, enfiler, le cousu fermé, le cousu ouvert, le fourreau. Le drapé évoque l’Antiquité, l’autorité impériale, la richesse. A la Renaissance il est réinvesti d’une dimension féminine forte et nouvelle, avec des effets de gaze, de fluidité, comme chez Botticelli. Ce drapé demeure encore dans l’art de l’enroulement vestimentaire en Asie.
Avec la disparition de drapé antique en Occident, il faut attendre Christine de Pisan et le Livre de la Reine pour voir émerger une réflexion sur l’habit féminin. Un travail est mené sur les coupes, les textiles, le coût, la distinction sexuelle et symbolique. Progressivement une plus grande diversité voit le jour, notamment dans l’habit masculin. Le règne de Louis XIV est un temps de changements importants. L’habit contribue à une narration de soi dans un espace symbolique fort, la cour. L’habit définit l’identité.
Il y a du côté féminin plus de continuité avec la robe, le vertugadin, la crinoline et les accessoires. Le corps féminin se cache. Les manches gigot, le corset, la poitrine bandée masquent le corps féminin autant qu’ils le contrôlent. Il faut attendre le XIXème siècle pour voir émerger le couturier créateur tel que nous le connaissons. C’est Worth, couturier d’Eugénie de Montijo qui lance la haute couture et pose les bases du créateur de mode avec sa griffe. Depuis, ce phénomène n’a cessé de se développer.
Au cours du XXème siècle, la question de la mode et donc de la modernité se pose. Si la modernité se veut émancipatrice, la mode est souvent aliénante et normative. Pour autant, l’habit féminin s’affranchit de nombreuses contraintes, depuis l’abandon du corset jusqu’au monokini. Depuis 1945, la jeunesse joue un rôle essentiel dans l’évolution de la mode. L’hybridation des vêtements à fort contenu symbolique (militaire, sportif, masculin, féminin), est une rupture forte qui s’oppose aux uniformes et au primat de l’élégance pour affirmer le rôle croissant de l’individu.
A cette présentation se sont ajoutés des échanges basés sur deux exemples de corpus réalisés par Corinne Glaymann et Damien Delille.
Le premier sujet porte sur le Corps naturel/culturel, vêtu/dévêtu.
Le second est relatif au Corps et les modes – Artifices et excès.


Atelier « Le corps, le mouvement, la danse », avec Michèle Jeanne rosé, Anahi Renaud, Annie Sébire

La trame de l’atelier porte sur la danse comme vecteur de réflexion sur le corps en HIDA et se demande ce que signifient un corps nature et un corps cultivé. Le point de départ est la définition anthropologique de Marcel Mauss qui fait de la danse une technique du corps : « j’appelle par ce nom les façons dont les hommes, société par société, savent se servir de leur corps. » Ce qui semble le plus naturel est en réalité le plus appris. La transmission à l’intérieur d’un groupe social fait qu’il y a certaines manières de danser qui sont inscrites dans nos fonctionnements. (Cf : Bourdieu et l’habitus)

Les questionnements posés sont les suivants :

  • Comment accéder à la compréhension de la danse ?
  • Comment lire un spectacle ?
  • Comment apprendre à porter un regard qui doit être à la fois subjectif et objectif ?
  • Comment conduire peu à peu le spectateur vers l’idée d’un récit ?
  • Comment passer de l’image au mouvement ?

A partir de plusieurs vidéos de Lois Fuller 1910, danse serpentine, Isadora Duncan, 1920, Rosas dans rosas 1997, Jean Claude Gallotta, 3 générations, 2002) , deux approches sont proposées.
La première est celle du corps sans fard : qu’est ce qui est naturel et qu’est ce qui est artificiel dans la danse ?
Le deuxième axe questionne le jugement « ce n’est pas de la danse ! J’aime/j’aime pas ! » interroge le rapport à la danse et les filtres culturels, les esthétiques, les normes, les codes amènent à se poser la question : Peut-on former le regard sans le formater ? Il s’agit alors d’aborder les procédés de composition comme une des clés ou aides possibles.
Enfin l’atelier interroge les clés qui peuvent nous permettre d’accéder à la compréhension de l’œuvre :

  • Ce qu’on voit et ressent
  • Ce que ça évoque (narration), le compositeur
  • L’époque historique et son contexte
  • Les dynamiques de mouvement (impact, impulsion, swing, continu, les parcours et les trajectoires dans l’espace)
  • La relation à la musique.

Pour aller plus loin :
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Atelier « Le corps, la pudeur, l’interdit », par Souad Ayada, Inspectrice générale de philosophie et spécialiste des cultures de l’islam et Christine Peltre, historienne de l’art

Les enjeux de l’atelier sont de donner un aperçu de la représentation du corps dans les arts de l’islam classique et d’éclairer la réticence des sujets attachés à la culture de l’islam à la représentation du corps nu.

Souad Ayada commence par préciser que les arts de l’Islam sont des arts de la figuration et pas de la représentation. D’autre part les arts de l’islam ne se bornent pas à l’architecture et à la calligraphie. On peut souligner aussi l’importance de la littérature et de la représentation figurative.
La première question abordée est celle du voile. Le Hijab est à mettre en relation avec des parties du corps qui ne doivent pas être visibles (hourat). La sacralité du voile qui sépare la personne du reste des croyants induit une certaine manière d’être en société et sépare la sphère de l’intime et la sphère publique. Sa fonction sociale, attaché à l’institution du corps sexuel, organise l’économie du désir. Il est le régulateur de la sexualité, le moyen de contraindre la sexualité, en particulier féminine - car toujours présentée comme foncièrement active. C’est donc la morale sexuelle de l’islam qui s’organise autour de la question du voile. Le rapport à la morale comme pratique du corps établit un partage du propre et du sale, du pur et de l’impur, du licite et de l’illicite.
La deuxième question porte sur la manière dont les arts islamistes représentent le corps. Plusieurs remarques : ils ne sont pas vraiment représentés mais ébauchés dans des formes archétypales. Il n’y a jamais de figure sexuée mais toujours asexué (il n’est souvent pas possible de distinguer les genres). Les corps sont toujours vêtus et jamais nus, avec une importance particulière de l’esthétique du vêtement, qui voile les corps ; On donne moins à voir des corps qu’à imaginer des formes de beauté. Et enfin on note un privilège absolu accordé au visage. En bref l’esthétique de l’Islam porte essentiellement sur la face visible et le corps vêtu.
La troisième piste envisage le changement induit par le colonialisme et la manière dont l’art occidental va prendre en charge la représentation des sujets musulmans, sous la forme spécialisée de la femme musulmane. Symboliquement le corps nu devient alors un écho de la violence coloniale. L’équivalence symbolique entre le voile et le corps, tous deux réduits au pittoresque tend à dire que le voile devient ce qui fait image.

Christine Peltre, historienne de l’art contemporain, aborde l’époque moderne et contemporaine en montrant que la prééminence de l’art calligraphique a laissé place à un art plus visuel. Elle part elle aussi des visions orientalistes, avec l’érotisme attaché à la nudité de la femme musulmane. Elle montre que l’étroite association de l’érotisme et de l’orientalisme donne une vision de la femme comme objet de convoitise, passive et dominée. Cette ambivalence peut servir de métaphore pour comprendre la domination politique de l’Occident sur l’Orient.
Elle aborde ensuite la déconstruction des fantasmes occidentaux, grâce à des artistes comme Melling, ou Gulsun katamustapha qui déconstruisent les projections occidentales sur l’Orient en offrant une vue d’un harem, débarrassé de toute référence érotique. Ces artistes insistent en effet davantage sur l’organisation sociale extrêmement structurée de ce lieu chargé de fantasmes et montrent que cet espace social n’a rien à voir avec le rêve de paradis de la chair. On est ici plus du côté du drame social que de l’érotisme.
Dans le même ordre d’idée Fatima Mernissi, sociologue marocaine, montre dans son livre Le harem et l’occident que dans son passage à l’occident Shahrazade a perdu l’intelligence en étant ramenée à son pur aspect sensuel tandis que dans l’art oriental c’est sa raison et son langage qui priment.
Enfin aujourd’hui la nudité n’est pas seulement construite en fonction de ce que l’occident en a pensé. Contrairement à l’art ancien, la nudité est présente dans l’art contemporain. Fouad Bellamine a proposé par exemple une réécriture assumée de l’origine du monde de Courbet qui a provoqué la colère de l’ambassadeur d’Iran au Mexique. Meriem Bouderbala détourne les fantasmes des mille et une nuits et joue avec les codes de l’orientalisme pour le questionner de manière profondément féministe au sens où elle exprime les aspirations de la femme dans le monde arabe en dépit des diktats imposés par la religion. Ghada Amer recouvre de fils des images pornographiques de manière à contourner les interdits et la censure. Son travail de broderie est empreint de multiculturalisme et s’attache à explorer la condition féminine. En détournant avec humour une activité féminine par excellence, la broderie, elle met en avant les stéréotypes induits par la société quant à la soumission et la domination de la femme et la sexualité. Randa Maroufi décrit les relations entre les deux sexes au Maroc et tend à mettre en évidence le harcèlement dont sont victimes les femmes dans la société dans des mises en scène soignées.

En bref l’art contemporain qui s’empare de l’Islam le fait souvent dans une perspective un peu militante, essayant de revenir sur une image qui avait été donnée de la femme dans des formes d’arts plus anciennes. En particulier les artistes femmes s’emparent de leur identité et revendiquent de plus en plus une liberté d’action et de création. Dans le contexte géopolitique mouvant, l’art est devenu un enjeu politique.


Atelier Le corps, la matière, la photographie

Les photographies d’Yves Tremorin et de Noëlle Hoeppe tentent de rétablir le contact entre la matière et le figuré. Or, la photographie est justement une prise de distance immédiate avec la présence concrète du monde. A travers des sujets privilégiés investis d’un fort contenu affectif comme le modèle masculin ou féminin, la muse, le détail anatomique, le corps de la mère, la matière tellurique, les fluides, ces deux photographes tentent de convoquer nos sens face à l’image. Vous pouvez retrouver les œuvres d’Yves Tremorin et les œuvres de Noëlle Hoere

Conclusion

Ces journées de séminaire extrêmement riches ont permis de questionner le corps en explorant limites toujours infimes entre nature et culture et de dégager plusieurs des enjeux multiples attachés à la représentation du corps : technologiques et scientifiques, mais aussi esthétiques, culturels, ou encore sociaux et politiques.