Compte rendu du Festival d'histoire de l’art de Fontainebleau, 2017 publié le 04/09/2017

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Atelier « Le corps, la pudeur, l’interdit », par Souad Ayada, Inspectrice générale de philosophie et spécialiste des cultures de l’islam et Christine Peltre, historienne de l’art

Les enjeux de l’atelier sont de donner un aperçu de la représentation du corps dans les arts de l’islam classique et d’éclairer la réticence des sujets attachés à la culture de l’islam à la représentation du corps nu.

Souad Ayada commence par préciser que les arts de l’Islam sont des arts de la figuration et pas de la représentation. D’autre part les arts de l’islam ne se bornent pas à l’architecture et à la calligraphie. On peut souligner aussi l’importance de la littérature et de la représentation figurative.
La première question abordée est celle du voile. Le Hijab est à mettre en relation avec des parties du corps qui ne doivent pas être visibles (hourat). La sacralité du voile qui sépare la personne du reste des croyants induit une certaine manière d’être en société et sépare la sphère de l’intime et la sphère publique. Sa fonction sociale, attaché à l’institution du corps sexuel, organise l’économie du désir. Il est le régulateur de la sexualité, le moyen de contraindre la sexualité, en particulier féminine - car toujours présentée comme foncièrement active. C’est donc la morale sexuelle de l’islam qui s’organise autour de la question du voile. Le rapport à la morale comme pratique du corps établit un partage du propre et du sale, du pur et de l’impur, du licite et de l’illicite.
La deuxième question porte sur la manière dont les arts islamistes représentent le corps. Plusieurs remarques : ils ne sont pas vraiment représentés mais ébauchés dans des formes archétypales. Il n’y a jamais de figure sexuée mais toujours asexué (il n’est souvent pas possible de distinguer les genres). Les corps sont toujours vêtus et jamais nus, avec une importance particulière de l’esthétique du vêtement, qui voile les corps ; On donne moins à voir des corps qu’à imaginer des formes de beauté. Et enfin on note un privilège absolu accordé au visage. En bref l’esthétique de l’Islam porte essentiellement sur la face visible et le corps vêtu.
La troisième piste envisage le changement induit par le colonialisme et la manière dont l’art occidental va prendre en charge la représentation des sujets musulmans, sous la forme spécialisée de la femme musulmane. Symboliquement le corps nu devient alors un écho de la violence coloniale. L’équivalence symbolique entre le voile et le corps, tous deux réduits au pittoresque tend à dire que le voile devient ce qui fait image.

Christine Peltre, historienne de l’art contemporain, aborde l’époque moderne et contemporaine en montrant que la prééminence de l’art calligraphique a laissé place à un art plus visuel. Elle part elle aussi des visions orientalistes, avec l’érotisme attaché à la nudité de la femme musulmane. Elle montre que l’étroite association de l’érotisme et de l’orientalisme donne une vision de la femme comme objet de convoitise, passive et dominée. Cette ambivalence peut servir de métaphore pour comprendre la domination politique de l’Occident sur l’Orient.
Elle aborde ensuite la déconstruction des fantasmes occidentaux, grâce à des artistes comme Melling, ou Gulsun katamustapha qui déconstruisent les projections occidentales sur l’Orient en offrant une vue d’un harem, débarrassé de toute référence érotique. Ces artistes insistent en effet davantage sur l’organisation sociale extrêmement structurée de ce lieu chargé de fantasmes et montrent que cet espace social n’a rien à voir avec le rêve de paradis de la chair. On est ici plus du côté du drame social que de l’érotisme.
Dans le même ordre d’idée Fatima Mernissi, sociologue marocaine, montre dans son livre Le harem et l’occident que dans son passage à l’occident Shahrazade a perdu l’intelligence en étant ramenée à son pur aspect sensuel tandis que dans l’art oriental c’est sa raison et son langage qui priment.
Enfin aujourd’hui la nudité n’est pas seulement construite en fonction de ce que l’occident en a pensé. Contrairement à l’art ancien, la nudité est présente dans l’art contemporain. Fouad Bellamine a proposé par exemple une réécriture assumée de l’origine du monde de Courbet qui a provoqué la colère de l’ambassadeur d’Iran au Mexique. Meriem Bouderbala détourne les fantasmes des mille et une nuits et joue avec les codes de l’orientalisme pour le questionner de manière profondément féministe au sens où elle exprime les aspirations de la femme dans le monde arabe en dépit des diktats imposés par la religion. Ghada Amer recouvre de fils des images pornographiques de manière à contourner les interdits et la censure. Son travail de broderie est empreint de multiculturalisme et s’attache à explorer la condition féminine. En détournant avec humour une activité féminine par excellence, la broderie, elle met en avant les stéréotypes induits par la société quant à la soumission et la domination de la femme et la sexualité. Randa Maroufi décrit les relations entre les deux sexes au Maroc et tend à mettre en évidence le harcèlement dont sont victimes les femmes dans la société dans des mises en scène soignées.

En bref l’art contemporain qui s’empare de l’Islam le fait souvent dans une perspective un peu militante, essayant de revenir sur une image qui avait été donnée de la femme dans des formes d’arts plus anciennes. En particulier les artistes femmes s’emparent de leur identité et revendiquent de plus en plus une liberté d’action et de création. Dans le contexte géopolitique mouvant, l’art est devenu un enjeu politique.