Explication d'un texte extrait de l'"ouvrier allemand" de G Blondel publié le 14/03/2008

Première - document (2004)

 Histoire première - Partie I.1
Transformations économiques, sociales et idéologiques de l’âge industriel, en Europe et en Amérique du Nord (1850-1939)

Le Document

Georges BLONDEL, L’Ouvrier allemand, A. Rousseau, 1899.
Je visitais naguère une des principales usines de fils de fer et de clous de Silésie, usine considérable où l’on fabrique chaque jour 1 000 kilogrammes de fil de fer et 40 wagons de clous de 200 sortes différentes. Dix-sept ouvriers, pour me borner à ce seul détail, doivent concourir à la confection d’un clou ! L’assujettissement mécanique d’un homme à la dix-septième partie d’un clou laisse une impression pénible ; ce n’est vraiment plus la chose qui s’adapte à l’homme, c’est l’homme qui devient un instrument en vue de la production ; l’esprit humain reçoit forcément à la longue de cet assujettissement une certaine empreinte. [...]
Quelque opinion qu’on puisse avoir sur les avantages ou les inconvénients de cette production à outrance dont l’Allemagne retire d’ailleurs de grands profits, il y a deux faits que je crois devoir signaler ici : c’est d’abord ce fait que l’ancienne forme de l’apprentissage s’est modifiée à mesure que s’est développée la grande industrie. Le patron ne désire plus aujourd’hui apprendre à ses apprentis tous les détails du métier comme autrefois, car il redoute d’en faire des concurrents. Il faut ensuite remarquer, et ceci est plus grave, que l’ouvrier de la grande industrie, même bien payé, se montre rarement satisfait. Et pourquoi donc ? À mesure que l’industrie se développe et que les usines deviennent plus importantes il se sent annihilé davantage par le rouage qui l’étreint. Il lui semble que dans l’esprit des patrons, même les plus humains, il est toujours question de production, de production indéfiniment accrue et bien rarement, pour ne pas dire jamais, de partage avec l’ouvrier des bénéfices que cet accroissement pourra produire. Et je dois reconnaître en effet, que les rapports du capital et du travail, dans la plus grande partie des usines allemandes que je viens de visiter, m’ont paru dominés par l’idée de spéculation commerciale et de bénéfices à augmenter. L’ouvrier de ces grandes usines sent et voit mieux que l’ouvrier à domicile qu’il s’agit de produire le plus vite et le meilleur marché possible. [...] Il en arrive à considérer les patrons comme des exploiteurs et devient aisément accessible à toutes les prédications socialistes.
Ce n’est pas seulement contre le patron qu’il entretient aujourd’hui des sentiments d’envie ou de haine ; c’est contre le capital lui-même. On lui dit de tous côtés, et il a fini par le croire, que celui-ci tend à se constituer en puissance indépendante, dominant à la fois l’entreprise et le travail.

Les questions

1) Présentez le document.
2) Relevez et expliquez les observations faites par l’auteur :
 sur l’organisation du travail des ouvriers ;
 sur l’organisation de la production ;
 sur la condition des ouvriers.
3) Expliquez l’allusion aux "prédications socialistes".


La correction

1) Présentez le document :
Le document est un texte extrait de l’ ouvrier allemand de Georges Blondel publié en 1899. Georges Blondel (1856-1948), géographe et économiste, est l’ auteur de nombreux ouvrages sur l’ Allemagne (Etude sur la politique de l’ empereur Frédéric II , 1892 ; Etudes sur les populations rurales de l’ Allemagne et la crise agraire - 1897...), pays dans lequel il a effectué de nombreux séjours. C’est le frère du philosophe chrétien Maurice Blondel et lui-même professa plus tard souvent aux "Semaines sociales" (fondées en 1904 dans la suite directe de l’ encyclique Rerum Novarum avec comme projet initial d’analyser à la lumière de l’écriture et de l’enseignement de l’Eglise les grands problèmes sociaux et économiques auxquels est confrontée la société française). En ce sens, Georges Blondel peut être rattaché au courant du catholicisme social.
En 1899, on est au coeur de la seconde industrialisation. La deuxième "révolution industrielle", qui démarre vers 1880 s’épanouit dans la première moitié du XXème siècle. Elle repose sur de nouvelles sources d’énergie (le pétrole et l’électricité),.La fabrication des engrais, des textiles artificiels, des machines agricoles, des machines-outils, des automoblies, connaissent une progression spectaculaire. La description que fait Blondel correspond à une période de croissance (1896-1929) appelée "Belle Epoque".
L’ auteur relate ses impressions après une visite dans une usine de Silésie en Allemagne. La seconde révolution industrielle s’est réalisée d’abord aux Etats Unis et en Allemagne qui devancent désormais le Royaume-Uni. L’ Allemagne est alors une des trois premières puissances économiques européenne (avec le RU et la France). La Silésie est une des principales régions industrielles d’ Europe. Des industries s’y sont développées autour de l’exploitation du charbon, dès le début du XIXème siècle.


2) Observations faites par l’ auteur sur l’ organisation du travail des ouvriers :
Avec la seconde industrialisation, la rationalisation du travail requiert l’attention des industriels. Dans les industries de montage, les progrès de la productivité sont assurées par la suppression des temps morts : "dix-sept ouvriers pour la confection d’un clou ". La division du travail (chaque ouvrier n’ ayant à accomplir que quatre ou cinq opérations) apparaît aux États-Unis dès 1850 dans la production de machines agricoles puis vers 1870 en Écosse pour la fabrication de machines à coudre. en 1890, une usine d’ emballage de Chicago emploie une bande transporteuse qui apporte le travail devant l’ ouvrier. Elle est utilisée au début du XXe siècle dans les usines Ford de Détroit. Enfin, l’ étude scientifique du travail accélère sa rationalisation. L’ ingénieur américain Taylor veut éliminer les gestes inutiles. Ces idées sont alors surtout appliquée dans l’ industrie automobile américaine, chez Ford, puis diffusée en France. La rationalisation du travail s’ accompagne des déqualification de l’ ouvrier et provoque la critique par les syndicats et par Chaplin dans les temps modernes.

Les observations faites par l’ auteur sur l’ organisation de la production :
Le fonctionnement d’une entreprise exige un capital. Dans les petites entreprises, le capital est en général suffisant. Mais les grandes entreprises comme celle ci (une usine où l’on "fabrique chaque jour 1000 kg de fil de fer et quarante wagons de clou") exige un capital considérable. Ce type d’entreprise a mis en place une société par action. Le capital, divisé en action, est détenu par les actionnaires. Chaque action apporte une part du bénéfice annuel ; le dividende. Elle peut s’échanger à la bourse des valeurs. Avec ce système, il y a dissociation du capital et du travail. Les ouvriers, comme les directeurs d’usines, sont des salariés d’une société, d’où le sentiment de ne pas appartenir à l’entreprise :" ce n’est pas seulement contre les patrons qu’ils entretiennent des sentiments de haine, c’est contre la capital lui-même ".

Les observations faites par l’ auteur sur la condition des ouvriers :
L’ essor de la grande industrie suscite le développement de catégories nouvelles d’ ouvriers. Les ouvriers qualifiés qui disposent d’une formation professionnelle se multiplient dans la mécanique, la fonderie, la chaudronnerie mais aussi le bâtiment, le travail du bois, l’ imprimerie. La standardisation et l’ essor du travail à la chaîne font appel au contraire à des travailleurs sans formation : "le patron ne désire plus aujourd’hui apprendre à ses apprentis les détails du métier". Manoeuvres ou ouvriers spécialisés affectés à des tâches simples et répétitives, sont asservis aux machines et aux cadences : " l’assujettissement mécanique d’un homme à la dix-septième partie d’un clou laisse une impression pénible". Ils forment la catégorie la plus nombreuse mais aussi la plus défavorisée, le prolétariat. Les contraintes imposées aux ouvriers sont très lourdes. Les journées de travail sont longues. Le travail ouvrier est traité comme une marchandise et soumis à la loi du marché. Les règlements des usines imposent une discipline très sévère qui transforme l’ usine en "bagne" : "l’ouvrier de ces grandes usines sent et voit mieux que l’ouvrier à domicile qu’il s’agit de produire le plus vite et le meilleur marché possible". "C’est l’homme qui devient un instrument en vue de la production". L’ouvrier est mal considéré et souffre de cette mauvaise considération.


3) Les prédications socialistes :
(l’ouvrier) "en arrive à considérer les patrons comme des exploiteurs" ...(haine) "contre le capital" :
On retrouve ici le vocabulaire utilisé par les socialistes, qui veulent changer la société (société capitalistes) qu’ils jugent inacceptable car elle rend difficile la condition des ouvriers. L’époque est marquée par l’influence de la pensée marxiste. Pour Marx, la production industrielle au XIXème siècle repose d’une part sur l’exploitation de la classe des prolétaires par la classe des bourgeois, d’autre part sur la lutte des classes. Il selon lui faut que les prolétaires détruisent le pouvoir de la bourgeoisie par la révolution. Ce discours reçoit un écho favorable auprès des ouvriers qui s’organisent en syndicats et se rassemblent dans des partis socialistes. Le parti socialiste allemand (SPD) s’oriente vers le réformisme. La transformation de la société est possible par des réformes dans un cadre légal. Il est à l’origine des premières lois sociales.

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Auteur

 Hugues Marquis