Les Rendez-vous de l'Histoire: la charte de Paris, 19 au 21 novembre 1990 publié le 16/11/2020

RDV histoire, 2020

Du 07 au 11 octobre 2020, les 23èmes rendez-vous de l’histoire de Blois ont accueilli plus de 1000 intellectuels et proposés prés de 400 conférences autour de la thématique : gouverner.

Le vendredi 09 octobre a eu lieu une table ronde autour de gouverner l’Europe "de l’Atlantique à l’Oural". La France, la fin de la guerre froide et la charte de Paris. Avec Madeleine Courant du centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS), ministère de l’Europe et des Affaires étrangères comme médiatrice et Michel Foucher, géographe, ancien ambassadeur de France, titulaire de la chaire de géopolitique appliquée au Collège d’études mondiales de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMHS) Pierre Morel, ancien Ambassadeur de France à Moscou, Pékin et au Saint Siège à Rome, Nicolas Badalassi, maître de conférences en histoire contemporaine à Sciences Po Aix et Frédéric Bozo, professeur d’histoire contemporaine, Institut d’études européennes, Université Sorbonne Nouvelle.

Nicolas Badalassi et Frédéric Bozo ont contribué à un ouvrage Reconstruire l’Europe 45 ans après Yalta, la charte de Paris qui paraitra le 03 décembre 2020.

Intervention de Frédéric BOZO

Quel est le contexte de la signature de la charte de Paris ?

Il semble au préalable important de déterminer le moment 1990. En soi, ce n’est pas l’année 1989. Année des ébranlements démocratiques à l’image de l’action de la rue en RDA qui aboutit à la chute du mur, le 09 novembre 1989. L’ensemble peut être qualifié de révolution par le bas ou « d’événements heureux » selon François Mitterrand. De même, ce n’est pas l’année 1991, marquée par la naissance de l’U.E, par les premières grandes décompositions européennes avec l’avènement de la Lituanie, par le craquement de l’URSS ou par la guerre en Yougoslavie. Un temps qui correspond à celui des Etats.
Dès lors, 1990 est le temps des diplomates qui essaient de prendre la main sur la rue. Cette démarche pourrait être qualifiée de top down dans la finalité est de cadrer l’après-guerre. De l’ancien Régime au Nouveau Monde pour reprendre l’expression de Chateaubriand. C’est aussi le temps des accélérations. Les diplomates sont pris dans cette contraction des événements. Force est de constater que la question allemande le devient dès lors qu’elle est mise à l’ordre du jour international. Ainsi, sa réunification est bien plus rapide qu’escomptée. 329 jours entre la chute du mur et la réunification des deux Allemagnes. La Conférence d’Ottawa -février 1990- gère les aspects internationaux de la réunification allemande. Le tout aboutit à la conférence de Moscou en septembre. Le calendrier international est dicté par celui du tempo allemand. Aussi, le sommet de l’OTAN prévu en 1991 est avancé en 1990 pour tenir compte de l’avancée allemande.
Ces accélérations sont essentielles pour comprendre ce qui se joue après. De fait, elle montre l’articulation entre le calendrier allemand et le calendrier européen. Les diplomates de l’époque pensaient qu’il y aurait eu une coïncidence des calendriers d’édification de l’Europe et de l’Allemagne. Il aurait s’agit d’inscrire la transformation allemande dans la transformation européenne. Cela aurait conduit à une certaine neutralisation de l’Allemagne et à une forte influence soviétique. Mais, cela ne correspondait pas au souhait des occidentaux. Ces derniers défendent l’ancrage de l’Allemagne dans un ensemble européen et atlantique. Non seulement, ils mènent une réunification rapide de l’Allemagne. Mais encore, ils font de l’Allemagne un membre actif de l’Europe. La CSCE est utilisée pour faire accepter aux soviétiques que l’Allemagne resterait ancrée à l’ouest. Les structures existantes comme la CSCE et l’OTAN sont alors utilisées pour inclure l’Allemagne. Par contre, elles ne sont pas repensées pour s’adapter à ces nouvelles réalités géopolitiques. Preuve en est, l’ancrage de la Russie n’a pas été prévu ce qui conduit aux difficultés actuelles avec cette dernière.


Intervention de Nicolas BADALASSI

Quelle est la portée puis la signification de la charte de Paris ?

Cette dernière est signée dans le cadre de la CSCE et s’inscrit par la même dans un processus ancien, né de la Détente des années 1970. C’est donc l’aboutissement de 18 ans de négociations. Dès 1989, au moment où l’histoire s’accélère, M. Gorbatchev en appelle à une réunion accélérée de la CSCE face à la réunification de l’Allemagne. Il souhaite garder un minimum de contrôle sur l’Allemagne à l’instar des principes de la conférence de Potsdam.
La charte de Paris a été souhaitée par les soviétiques dès les années 1960. En effet, ils cherchent à obtenir des occidentaux un cadre de sécurité pan européen pour geler le rideau de fer et leur permettre de se consacrer à l’est. Les Européens l’acceptent en 1968 suite au printemps de Prague. Ils prennent conscience de l’importance de s’occuper des populations de l’est. Mais, les occidentaux ont une volonté différente de celles des soviétiques.
De fait, ils ne consacrent pas les frontières comme marqueur de séparation des peuples. Ils mettent en avant d’autres logiques comme celle d’utiliser les frontières à des fins pacifistes. A partir de 1975, la CSCE se poursuit et devient le forum des discussions est/ouest sur tous les sujets. En soi, elle reflète les relations est/ouest dans les années 1970-1980, de sorte qu’elle soit privilégiée par M. Gorbatchev. Preuve en est, il souhaite que la CSCE remplace l’OTAN et le pacte de Varsovie ce qui permettrait à l’URSS de reprendre la main sur l’Europe. Entre 1986-1989, il participe à l’ensemble des corbeilles de la CSCE pour préparer la réunification allemande et assurer leur influence.
Il n’empêche que la charte de Paris est d’abord la reconnaissance des principes décidés à Helsinki. Cela montre à quel point l’URSS a évolué et est prête à adhérer aux principes libéraux. D’autant que les intérêts américains et ceux d’Europe de l’ouest prévalent désormais. Ils conduisent à imposer l’OTAN plutôt que la CSCE. En somme, l’arrivée de V. Poutine au pouvoir, affaiblit la CSCE. Cette dernière ne correspond plus à sa vision géopolitique.


Intervention de Pierre MOREL

Quels rapprochements sont opérés entre la charte de Paris et la résolution de problèmes de sécurité flottants ?

La fin de la guerre froide a été l’objectif prioritaire de la politique étrangère de la France. La visite de L. Brejnev à Paris en 1971 -premier déplacement en Europe d’un dirigeant soviétique- donne lieu à un certain nombre de points qui conduiront à la charte de Paris. Le rôle de la France est de remettre en perspective, de couvrir l’ensemble du continent européen. La CSCE apparait alors comme le réceptacle naturel pour ce projet.
Par contre, les faits s’accélèrent et se complexifient entre novembre 1989 et octobre 1990. La réunification allemande s’organise avec le plan en 10 points de H. Kohl en novembre. Or, F. Mitterrand ne voulait pas de cette réunification qui se dessinait hors du processus européen. Il se rend à Kiev rencontrer M. Gorbatchev pour connaitre sa position, et éviter le risque d’une déflagration européenne. Dès lors, le sommet de Strasbourg, du 08 décembre 1989, aborde la question de la réunification de l’Allemagne dans l’Europe. Il illustre alors la tension entre H. Kohl qui veut se concentrer sur sa politique intérieure et F. Mitterrand qui tient à la rattacher à l’Europe.
En parallèle, un processus de réduction des forces en Europe est mis en œuvre pour diminuer les tensions. Il s’agit pour les artisans de la charte de Paris de monter un discours politique afin d’abaisser le système de terreur et de dissuasion. La logique de démantèlement des systèmes d’alliance propres à la guerre froide implique de considérer tous les pupitres. La finalité est de favoriser la réunification allemande chapeautée lors de la charte de Paris. Le tout en seulement trois mois. En définitive, la conférence de New-York du 1er octobre 1990 met fin aux droits des quatre vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Elle permet à l’Allemagne de mettre en œuvre et sans tutelle sa réunification.
En outre, la Yougoslavie se retrouve au cœur des enjeux du début de l’année 1990 car elle semble hors cadre. En effet, deux principes avaient été définis au moment de la conférence d’Helsinki pour transformer l’Europe. Le premier est la règle de droits et le second est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais qu’est-ce qui doit être entendu par peuple ? Est-ce que c’est la volonté des peuples qui passe en avant ou la règle de droits définie comme les règles et les normes qui permettent la sauvegarde des équilibres ? Cette question anime sans nul doute le conflit yougoslave et à travers lui l’Europe des années 1990.

Aujourd’hui, le CSCE a pour but de réduire les violences. Par contre, elle ne règle pas les conflits car elle n’a pas suffisamment de forces. Pour Pierre Morel, la fin de la guerre froide a été manquée. La France s’est reposée sur de beaux résultats et n’a pas anticipé l’avenir. Il convenait de faire attention à L’URSS. Cette dernière est en profond tourment au moment de la charte de Paris. Beaucoup la désapprouve au sein même de l’appareil de M. Gorbatchev.


Intervention de Michel FOUCHER

Quelles sont les implications de la charte de Paris sur les minorités d’Europe de l’est ?

La charte de Paris implique une prise de conscience à l’époque. Les forces nationalistes longtemps contenues par le communisme, sont désormais libérées et se déchainent à l’image de la Yougoslavie. De fait, la charte doit statuer, encadrer le sort des minorités pour préparer la suite. La volonté de la France est d’opérer et ce afin ne pas laisser le jeu à Washington, Bonn et Moscou. La question des minorités est dans ce sens prise en compte par l’adoption en 1995 du pacte de stabilité en Europe. Il répond à la crainte d’une poudrière en Europe centrale. Se pose également la vision à Paris de ce que pourrait être le concert des nations. Or, la réponse à l’époque est que les Etats-Unis constituent l’acteur incontournable, à l’inverse de l’URSS. Preuve en est, les pays baltes adhèrent à l’OTAN avant même de le faire à l’Union Européenne.
Pour Michel Foucher, le rôle de la diplomatie française est de produire des idées puis d’aider à les mettre en œuvre. Il prend alors l’exemple de Pierre Morel qui a déjà participé à plus de 110 missions pour le groupe de Minsk.

Foire aux questions :

Pourquoi la charte de Paris est-elle aussi peu évoquée ?

La puissance des événements et leur surexposition médiatique conduisent à retenir que le spectaculaire. Or, le legs de charte de Paris est fondamental car elle a posé les bases qui garantissent la paix encore de nos jours. Les évènements de Crimée en 2014 ont été contenus grâce à ce cadre.
Dans l‘histoire des deux derniers siècles, la fin d’un conflit consacre les événements diplomatiques qui le procède car ils sont un événement heureux. Alors que la charte de Paris impulse l’ouverture à l’ouest de l’est.