Les pratiques pédagogiques au service des échanges : le théâtre publié le 01/02/2009  - mis à jour le 23/04/2019

Contribution de monsieur DUPE, professeur d’espagnol, responsable des options théâtre au lycée Maurice Genevoix, Bressuire.

Propos introductifs (madame Millet, IA-IPR d’espagnol)

Quelles stratégies pédagogiques mettre en œuvre pour favoriser les interactions dans la classe, développer les échanges de façon diversifiée, dans les établissements et au-delà des frontières ?
Comment mesurer l’impact de ces pratiques sur l’ouverture culturelle ?

« … A plusieurs reprises, lors des dernières réunions du groupe de pilotage académique ‘langues vivantes’, avait été évoquée l’idée d’assises sur les langues dans notre académie, dans le but de faire connaître les pratiques innovantes dans l’enseignement de cette discipline. A l’origine de l’innovation, il y a la volonté d’une plus grande efficacité pédagogique, et dans le cas précis, celle de voir diminuer l’échec en langues. Donner à connaître les pratiques innovantes n’a de sens que si ces pratiques servent la maîtrise de la langue et notamment de l’oral, et dans le cadre du sujet de cet atelier, l’interaction, notamment. Il s’agit là d’une activité qui n’est pas nouvelle mais qui s’affiche très explicitement dans les nouveaux programmes qui viennent de paraître (paliers 1 et 2). La production orale en interaction, qui figure dans ces termes dans les programmes et documents d’accompagnement, fait l’objet d’un entraînement régulier et d’une évaluation. Tout ce qui renvoie à l’interaction et aux échanges occupe une place privilégiée dans la réflexion menée autour des pratiques de classe, notamment. Comment faire pour… Quelles stratégies mettre en place dans la classe dans l’établissement et au-delà des frontières ?

La deuxième question nous rappelle, si besoin était, que les langues ne constituent pas seulement un outil permettant de se comprendre mais qu’elles sont en soi des objets culturels, que l’enseignement des langues vivantes a certes pour objet d’exercer les élèves à la pratique
de la langue mais aussi celui de contribuer à leur enrichissement personnel, de leur permettre d’accéder au patrimoine d’une nation, à ce qui constitue son actualité (à l’aide des écrivains, journalistes, artistes, historiens… )… . »

Extraits des propos introductifs par
Marylène Millet IA-IPR d’espagnol aux
Assises académiques de langues vivantes, Poitiers, 30 septembre 2008 portail langues de l’académie.


Monsieur DUPE présente son option théâtre

C’est en tant que professeur d’espagnol et responsable avec deux autres collègues du Lycée Maurice Genevoix de Bressuire des options théâtre dans cet établissement (option de détermination et facultative en seconde, enseignement de spécialité et option facultative en première et terminale) que j’ai été invité par Mme Millet pour vous faire part de nos pratiques dans ce type d’enseignement tout en essayant de voir ce qui pourrait être ponctuellement transposable ou exploitable dans la classe de langue, quelles stratégies pour le professeur de
langue qui veut jouer le jeu.

Avec les élèves des options théâtre, nous sommes amenés à travailler principalement 3 axes (je me situe ici dans le cadre des options facultatives) :

 aspects théoriques reliés principalement l’année de Seconde avec ce que nous appelons…

  l’école du spectateur, qui consiste en la fréquentation des spectacles, avec échanges entre les élèves, et ponctuellement avec les équipes artistiques (metteur en scène,
comédiens, etc.)

 et surtout (et c’est pour cela avant tout que les élèves sont là) pour pratiquer et expérimenter sur le plateau sous la conduite des professeurs mais surtout sous celle de professionnels. Présence de professionnels, c’est cela qui fait la spécificité de notre approche.

L’accent est donc mis sur la pratique théâtrale et les échanges à propos de cette pratique et des spectacles auxquels sont conviés les élèves (environ 8 par an, cette année : Dom Juan de Molière (mise en scène par J-M Villégier), En attendant Godot de Beckett, Antigone de Sophocle, Le malade imaginaire, traité façon Commedia dell’arte et d’autres textes
contemporains.)

Pour commencer -et c’est ainsi que je commencerai également ici- nous aimons bien demander aux élèves pourquoi ils font du théâtre au lycée, ce qu’est le théâtre pour eux…


Les élèves ont la parole : "pour moi le théâtre ....

Voilà ce qu’ont dit les élèves cette année, je vous transmets ici leurs paroles telles qu’ils
nous les ont transmises eux-mêmes :

Pour moi Le THÉÂTRE c’est :


— S’exprimer différemment, faire passer des sentiments aux gens…
— La production de comédiens sur scène visant à distraire un public.
— Une manière de s’exprimer sans se soucier du regard des autres car on est une
autre personne.
— Une bonne manière d’avoir un contact avec les gens, de les toucher.
— Apprendre à construire quelque chose ensemble.
— Etre en communauté.
— De l’expression corporelle.
— Ne pas avoir peur du ridicule.
— Etre quelqu’un d’autre. S’extérioriser.
— Connaître des faces cachées de sa personnalité.
— Un travail où l’on s’amuse. Un jeu où l’on travaille.
— Vaincre le stress, certaines peurs.
— Réinventer un personnage à travers notre corps et nos expressions.
— Se défouler sur scène.
— Un moyen de s’ouvrir vers les autres.
— Une échappatoire, une issue de secours…
— Savoir se regarder tel que l’on est.
— Savoir regarder l’autre tel qu’il est.
— Partir de soi pour aller vers les autres.
— Se sentir inventif, créatif.
— Apprendre que le doute et l’interrogation peuvent être constructifs.
— Développer l’écoute, la confiance en soi et la confiance en l’autre.
— La découverte de la complexité du théâtre avec tous les métiers attenants.
— Etre actif et acteur.
— Savoir regarder, analyser et se nourrir de tout ce qui émane des autres.
— Prendre des initiatives et les assumer.
— Sortir des schémas traditionnels.
— Passer par toutes les émotions et savoir les partager.
— La rencontre et le respect


Je pense qu’il y a déjà là des aspects à méditer (on peut se contenter de citer tout ce qui a trait à l’écoute, à la confiance en soi et la confiance en l’autre, au développement de l’imaginaire par exemple, et de l’affectif … )

Nul doute que l’enrichissement culturel (imaginez l’ouverture que permet la fréquentation « raisonnée et accompagnée » de spectacles théâtraux et autres) et l’enrichissement personnel sont importants pour les élèves.

Et puis en pratique, lorsque l’on aborde le travail de plateau, le « positionnement » des élèves est totalement différent. « Positionnement », le mot est à comprendre au sens propre.

Mais avant de revenir sur cette notion, de la même façon que l’ont faite les élèves j’aimerais bien vous dire pour quelles raisons essentielles nous professeurs faisons du théâtre avec les élèves dans le cadre des options. En fait ce sont un peu les mêmes :

Parce que c’est une « discipline » qui se construit avec eux - une discipline de jeu avec, comme pour tout jeu, des règles à définir et à suivre pour expérimenter des voies d’interprétation, de situations, de textes. Les possibilités d’expérimentation sont nettement plus nombreuses que dans tout autre enseignement : on travaille vraiment en groupe, dans l’idée de construire quelque chose pour faire sens. Ce sont des rapports d’échanges précieux entre les élèves, le comédien et le professeur.

C’est cette qualité-là de pédagogie que nous apprécions tout particulièrement dans le travail de théâtre. On s’engage ensemble dans une dynamique créative. C’est l’occasion aussi pour des élèves qui ne sont pas valorisés dans l’enseignement « classique » (en classe) de révéler leurs ressources proprement créatives.

C’est aussi un espace unique d’ouverture, c’est-à-dire un espace de compréhension des autres, de soi. C’est un lieu commun de le dire, mais c’est tellement juste : on développe, là, dans cet espace de jeu, une rare capacité à l’écoute et à l’adaptation - et c’est valable et pour les élèves et pour les professeurs.

J’en reviens donc maintenant à cette notion de « positionnement » et je pars de mon expérience récente…


Première séance de théâtre en Seconde

Début septembre 2008. Entrée des élèves, prise de contact.

La trentaine d’élèves entre tout intimidé dans la salle de conférences, vaste, totalement vide. Les élèves regroupés le long d’un mur, le rasant littéralement. Un temps. Les adultes (un comédien, deux professeurs) s’éloignent des élèves qui se rendent compte de la façon
toute particulière qu’ils ont « occupé » l’espace. Sourires et décrispation. Nous en profitons pour parler du lieu, de cet espace distinct de la vie quotidienne du lycée, un espace foncièrement différent de la salle de classe avec ses tables bien alignées, comme autant d’abris et de paravents pour les corps (« mise en scène ritualisée de l’accès au
savoir rationnel » dont parle Philippe Meirieu). Ici c’est le contraire, explique-t-on encore, c’est l’exposition permanente, le théâtre exige de chacun qu’il s’expose. Un grand espace vide, utilisable dans sa totalité comme espace de jeu (délimité par les rideaux) et un espace spectateur, un espace pour jouer et pour regarder. Et comme l’espace est vraiment vide (on l’a fait exprès), on en profite pour citer Peter Brook : « Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène. Quelqu’un traverse cet espace vide pendant que
l’autre l’observe et c’est suffisant pour que l’acte théâtral soit amorcé » (L’espace vide).
On indique aussi que Brook a rectifié dans Le diable c’est l’ennui où il insiste sur la nécessité d’un deuxième personnage et d’une rencontre « pour que l’acte théâtral soit (vraiment) amorcé »…

Objection : On n’a pas de salles comme ça en langues. Je ne pense pas qu’on puisse faire – ou alors on est dans autre chose que le théâtre- l’économie de proposer une modification significative de l’espace, même partielle, pour faire oublier le quotidien et donner au jeu théâtral l’espace qui lui convient le mieux, l’espace vide…

Mais on ne peut pas décréter le théâtre, il faut se préparer avant, se mettre en condition. Je ne parlerai pas de relaxation (on en fait), mais peut-on se passer d’échauffement ? Ne pas oublier que l’on va travailler avec le corps, engager le corps. Des consignes précises données en espagnol, en anglais, en allemand ou toute autre langue cible pour conduire un échauffement en faisant allusion aux parties du corps sollicitées… On se trouve d’emblée du côté d’une langue communicative réelle. Le professeur explique dans la langue les diverses activités tout en s’appuyant sur la logique de l’exercice, ce qui peut permettre aux
élèves de s’approprier une langue mettant en jeu modalité, impératif, sentiments… )1

Positionnement dans l’espace. Sous le signe du cercle pour commencer. Les élèves et le professeur (et le comédien ?) debout en cercle. Un élève dit de ce dispositif : « un cercle a un centre, les points sur ce cercle sont à égale distance, on trouve alors une notion
d’égalité. » Disponibilité et écoute, la forme première de l’altérité et l’une des premières qualités du comédien, dit-on. Elle se fait ouïe mais aussi vision, toucher selon la circonstance. Une bonne écoute est la plus juste attitude intérieure pour « bien s’entendre ». Tout cela pour que chacun trouve peu à peu une « juste place », sa place. Le cercle concentre l’énergie et permet de se « lâcher » plus facilement. Le corps mène et la parole suit.


Je pense qu’aussi bien dans la pratique théâtrale menée dans le cadre des options théâtre, qu’en classe entière (français) et que dans les classes de langues, il est hasardeux de se lancer d’emblée dans l’interprétation d’un texte. Il faut du temps pour que naisse la confiance et s’éloigne la peur du ridicule. Il y a des étapes à franchir :

Le cercle de profération peut permettre de franchir l’une d’elles.

Cet exercice est d’initiation pour les débutants et aussi d’échauffement pour les autres. Il peut être utilisé à tous les niveaux et transposable en cours de langue, si l’on se lance dans l’aventure.
Il s’agit de mettre en voix et en jeu des répliques. C’est la stratégie de l’infiniment petit. Le choix de ces répliques est en fonction du projet global.2

Instauration du tour de parole qui restera immuable durant tout le jeu (pour éviter les flottements contraires à la concentration et à l’écoute) :

A lance une balle à B qui la lance à C etc., puis on remplace la balle par une réplique ou une phrase mémorisée en amont. La réplique doit être proférée debout, droit dans les yeux du partenaire qui doit soutenir ce regard, pour que l’adresse prenne toute son intensité.
Enfin l’éventail des consignes de profération est infini (contraintes techniques, émotions de base : la peur, la joie, la tristesse, la colère, etc.).

Dans un second temps, une autre séance, on pourra passer avec ces mêmes répliques sur l’espace scénique, (pour cela on délimite l’espace de jeu, l’espace spectateurs, ) mais pas seuls, en choeur… Ne pas brusquer. Je n’ai pas le temps de développer et ce n’est pas
l’objet de ce petit exposé… Mais surtout ne pas brûler les étapes et assurer les fondamentaux pour pouvoir construire.

Ces techniques théâtrales et bien d’autres, variées, applicables et adaptables dans les classes de langue en fonction des projets envisagés, peuvent peut-être servir à terme à associer prise de parole et engagement affectif, voire développer l’imaginaire dans la
langue étrangère. Ce dont je vous ai parlé peut être adapté de façon ponctuelle ou dans un projet plus ambitieux qui peut déboucher sur la présentation d’une petite forme. Mise en voix, mise en espace, mise en scène d’un texte théâtral ou pas, d’une page tirée d’un roman de García Márquez, par exemple avec des élèves de terminale en classe d’espagnol.
Une autre pratique qui peut ponctuellement faire du bien à la classe, par un effacement de la voix de professeur au profit de la voix de l’élève.

Ensuite, il faut expérimenter… Ce type de travail peut-il relancer la dynamique d’une classe en redistribuant les rôles et en donnant une nouvelle parole ? Les élèves arrivent-ils à mieux s’approprier la langue grâce au théâtre et aux jeux de rôles ?
Jouer un personnage, paradoxalement, est ce qui offre l’occasion de vivre authentiquement la langue. On modifie les règles du jeu car le code principal de communication est ici justement de faire semblant, en engageant le corps. Dans la mesure où la situation est stimulante –c’est-à-dire dans la mesure où elle permet de réaliser un objectif qui fait sens et qui est ressenti comme nécessaire- pour l’élève utiliser la langue
deviendra alors authentique.

(1) Si l’on veut bien fonctionner comme dans les options théâtre –quand elles en ont les moyens, ce qui est loin d’être régulièrement le cas, surtout dans cette période où la DRAC ne finance plus ou presque les dites options, on peut imaginer la présence d’un comédien « natif » pour conduire ce type d’atelier en collaboration avec le professeur. On peut rêver.

(2) Il y a certains critères à connaître qui sont bien expliqués et développés dans l’ouvrage très précieux de Chantal Dulibine et Bernard Grosjean Coups de théâtre en classe entière, Scéren, CRDP Académie de Créteil.