TraAM 2018 Plus-values des outils numériques dans la progression phonétique publié le 09/06/2018  - mis à jour le 24/04/2019

Cette réflexion vous est proposée par Audrey Bourdin et Jessica Tirbois, professeures d’espagnol au collège André Malraux de Châtelaillon. Cette publication a été réalisée dans le cadre de la réflexion menée l’équipe des TraAM Langues Vivantes de l’académie de Poitiers.

Comment les outils numériques permettent d’accompagner et d’évaluer la progression en phonétique corrective de collégiens de cycle 4.

Introduction : Présentation et intérêts du projet

Après de nombreuses années à enseigner l’espagnol au collège, nous pensons qu’une des missions premières et fondamentales du professeur de LV tout au long du cursus de ses apprenants concerne la pratique de la correction de la prononciation.

Des erreurs de prononciation et d’accentuation

Horreur à l’horizon … des erreurs de prononciation et d’accentuation !

Certains sons écorchés ou inexistants, une accentuation nettement francisée de l’espagnol génèrent chez nous autres, professeurs de LV, irritation voire indignation.

Mais n’oublions-nous pas l’essentiel : L’acquisition des compétences phonologiques d’une LV n’est pas innée et reste pour, tout un chacun, le fruit d’un labeur régulier de la part de l’apprenant, d’autant que nos élèves ne sont pas en situation d’immersion quotidienne.

La confrontation pérenne aux difficultés de prononciation rencontrées par nos élèves débutants ou avancés pendant nos premières années d’enseignement nous a donc conduites à nous pencher sur cette problématique. Nous avons donc cherché à mieux comprendre le processus d’appropriation de la prononciation d’une langue nouvelle, à en décortiquer certaines étapes, à trouver et proposer des outils numériques d’aide à l’apprentissage pour apporter des solutions de remédiation régulière.
 

Aussi, l’apprentissage de la LV2 en trois ans – de la 5ème à la 3ème- apporté par la réforme des collèges, nous a paru tout à fait opportun pour tenter de mener un travail de fond qui accompagnerait nos élèves dans l’apprentissage filé de la correction phonétique.
 

Ces difficultés de prononciation sont mises à l’honneur dans ce projet car leurs conséquences ont un double impact :

  • Dans un premier temps sur la situation d’apprentissage en classe.
    Elles peuvent générer chez les apprenants une gêne voire un blocage lors de la prise de parole - qu’elle soit plus longue (EOC telles que lecture, récitation, exposé... et EOI comme mise en situation de dialogues mémorisés ou échanges spontanés sur des thèmes travaillés en amont) ou même brève simple intervention participative à la construction du cours.
    Dès lors, l’envie de parler dans la LV, le jeu de chanter des sonorités nouvelles, le plaisir d’écouter la musicalité de la langue apprise s’essoufflent. Le cours de LV se vide de l’oralité spontanée tant espérée voire devient principalement écrit.
    Le projet de phonétique corrective filée vise ainsi à libérer l’élève de cette appréhension voire angoisse qui le pousse à adopter la position du « je ne sais pas comment ça se dit/le dire, donc je ne parle pas ».
  • Dans un second temps, sur l’apprentissage de l’élève et sa relation à long terme à la langue vivante :
    Percevoir la relation entre certains graphèmes et phonèmes spécifiques à la langue.
    La maîtrise de l’orthographe (mot qui fait horreur aux élèves français dont l’orthographe de la langue maternelle est souvent dépourvue de bon sens !) découlera en grande partie de la façon dont l’élève se sera approprié les sons de l’espagnol puisque nous pouvons nous vanter d’un avantage « c’est une langue quasi SMS ! une lettre / un son ! ».
    (Quelles différences entre les sons l/ll- n/ñ-r/-ga/gua/ja … ?)
     

La transmission correcte d’un message oral passe par une prononciation qui différencie des phonèmes et la place de l’accent tonique (caja/cara, bandeja/bandera, hoja/hora, casa/caza, Ramón/jamón, hablo/habló…). Ces phonèmes peuvent être source de quiproquos.

La compréhension du sens d’un texte écrit, lu à voix haute, est inséparable de la qualité de la production orale puisqu’elle passe par trois éléments indissociables et en interaction constante : la reconnaissance des sons (le lien son / graphie), l’accentuation de la voyelle tonique, le rythme et les courbes d’intonation.
Il semble donc pertinent d’accompagner l’élève dans son apprentissage crescendo de la prononciation pour développer ses compétences communicatives.

Processus cognitifs du traitement du langage

Une solution possible : Et si l’on s’intéressait aux processus cognitifs du traitement du langage ?

Notre intérêt sur la correction phonétique est commun aux enseignants de toute langue puisque si « nous reprenons l’argumentation générale […] elle illustre effectivement que le problème de départ est lié à la perception des sonorités d’une langue étrangère du fait des habitudes perceptives de la langue maternelle. »


Phonétique corrective en FLE - Méthode verbo-tonale
Documents réalisés par Michel Billières1

 La méthode articulatoire : principes et utilisation dans l’apprentissage d’une langue étrangère (pdf de 119 Ko)

  • "La phonétique occupe une place centrale dans l‘enseignement/apprentissage des langues étrangères
  • Reproduire les différences subtiles dans la réalisation de sons inconnus ou présentant des similitudes avec ceux de la L1 constituent un préalable indispensable au début de l’étude de l’idiome étranger.
  • Les élèves reçoivent donc un enseignement théorique et pratique intensif exclusivement à base de phonétique articulatoire, accompagné d’un passage progressif à l’écrit où les correspondances phonie/graphie sont également abordées
  • Le principe est le suivant : on entend bien uniquement les sons que l’on sait prononcer. Les mouvements moteurs répétés faits par l’enfant pour acquérir les sons de sa langue maternelle fixent des habitudes dont il est impossible de se défaire autrement que par un entrainement articulatoire poussé et conscientisé à l’extrême en L2.
  • Il est demandé à l’élève de prêter attention - à la manière dont il est assis : le buste adossé au dossier de la chaise, la tête droite, ni trop inclinée afin de ne pas écraser le larynx, ni trop relevée afin de ne pas le tendre exagérément."

Nos démarches intuitives mises en place déjà auparavant de part l’expérience des années auprès des élèves, ont été confortées par ces recherches sur les processus cognitifs du traitement du langage. Nous avons dès lors débuté le vaste chantier d’élaboration d’activités, sur le cursus collège- pour un accompagnement plus efficace et individualisé des débutants, dans l’acquisition d’une prononciation la plus correcte possible de l’espagnol castillan.

Notre projet est donc né de ce constat : « le cheminement difficile d’une majorité d’élèves à acquérir une prononciation intelligible ».

A mesure de la progression de nos séquences de la 5ème à la 3ème, nous avons tenté de pallier les obstacles constatés par la mise en œuvre filée d’activités simples utilisant le numérique comme outil d’évaluation :

  • évaluation diagnostique,
  • évaluation des progrès et des faiblesses,
  • remédiation,
  • évaluation de la maîtrise des compétences,
  • accompagnement individualisé de l’élève,
  • accroître l’exposition à la langue vivante autant que faire se peut authentique.

Les ressources offertes par le numérique sont nombreuses et favorisent les progrès des élèves tout en développant leur autonomie.
Les activités que nous proposons dans ce projet sont adaptables et transférables dans l’enseignement des LV autres que l’espagnol, laissant au professeur le libre choix de supports qui porteraient un intérêt particulier selon la progression de ses séquences et sa préférence thématique, culturelle de certains documents.


Voici une ébauche tout à fait perfectible d’une progression « en douceur » envisagée par l’équipe de professeures. Vous retrouverez, dans un autre article l’explication plus détaillée de séances et des supports utilisés.

Mise en place de la phonétique corrective

Année de 5ème : 1ère approche, mise en place de la phonétique corrective

Niveau 5ème. Séquence « Zéro » : Primeros pasos hacia el castellano
Mettre en confiance et obtenir l’adhésion des élèves
→ Générer curiosité, plaisir d’écouter une nouvelle « mélodie » , envie de parler à son tour

  • Écouter, percevoir : familiariser aux réalités sonores de la LV.
  • Écouter, discriminer : sensibiliser aux réalités sonores différentes de la LV et de la langue maternelle.
  • Prononcer, ressentir et visualiser : intellectualiser la prononciation et l’articulation des phonèmes spécifiques de la LV.
  • Prononcer, reproduire, imiter : autocontrôler ses mouvements articulatoires
  • Fixer des repères : mémoriser des « mots repères » de phonèmes spécifiques à l’espagnol.

Niveau 5ème. Séquence 1 : Instaurer la démarche de correction phonétique
Réemployer les mots « repères de phonèmes spécifiques »,
Poursuivre et individualiser les procédés de mémorisation de nouveaux « mots repères » pour offrir un panel suffisant à l’élève qui pourra s’approprier ce phonème par le « mot repère » de son choix.
S’entraîner et évaluer : visualiser ses acquis en terme de prononciation et fixer des objectifs personnels de progression.

Reprise et Prolongement de la démarche de correction phonétique

Année de 4ème et 3ème : Reprise et prolongement de la démarche de correction phonétique

Grâce aux outils numériques nomades :

  • poursuivre les procédés de mémorisation cognitive des sons,
  • poursuivre l’entraînement et l’évaluation à partir de supports de plus en plus complexes : visualiser ses acquis en terme de prononciation et fixer des objectifs personnels de progression,
  • viser l’automatisation de certains phonèmes (objectifs pouvant être individualisés),
  • mettre en voix son discours par la prononciation, l’intonation et la gestuelle adéquates,
  • développer l’autonomie et la prise d’initiative par l’auto évaluation, l’inter évaluation et la fréquence semi-libre des entraînements.

Les exercices proposés […] entre la 5ème et la 3ème reposent sur la même démarche mais en respectant les principes de progression en allant toujours du plus simple vers le complexe
(principe calqué sur les méthodes d’apprentissage de la lecture du français au CP) :

  • son prononcé isolément
  • son isolé en opposition avec son voisin (quelques exemples : r/j , l/ll , n/ñ, an / en…)
  • son dans syllabes isolées présentées dans un ordre aléatoire
  • sons dans mots isolés
  • son dans membres de phrase
  • son dans phrases décontextualisées (trabalenguas) puis contextualisées (supports de sens de la séquence en cours)
  • son dans des phrases contextualisées en y rajoutant la notion d’intonation qui contribue au sens du message transmis : répliques de dialogue mises en voix et/ou mémorisées puis mises en scène (joindre le geste à la parole).

C’est par ce travail sur la perception et correction phonétique que nous pensons amorcer puis consolider les aptitudes de réception (lire, écouter, comprendre) et de production (parler et écrire) des élèves.
Il convient par ailleurs de rappeler que distinguer la diversité linguistique de l’espagnol en mobilisant ses connaissances phonologiques permet aux élèves de découvrir la pluralité des cultures du monde hispanophone.

(1) « Les langues sont perçues par les natifs non pas sur l’ensemble de la bande fréquentielle relative aux sons de parole et s’étendant en gros de 70 Hz à 8 000 Hz mais sur une base bien plus étroite correspondant à des zones fréquentielles privilégiées. C’est ainsi que les Français ont deux bandes favorisées sur les plages 200-300 Hz et 1 000-2 000 Hz, alors que celles des Espagnols sont particulièrement réceptifs sur les plages 150-350 Hz et 1 500-2 5000 Hz. Les Anglais perçoivent mieux sur une bande 2 000- 8 000 Hz, les Italiens sur celle de 2 000-4 000 Hz. Les plus chanceux sont les Slaves, Portugais et Arabophones dont la région de perception s’étend de dessous de 100 Hz jusqu’à 8 000 Hz. Ces chiffres quoi qu’on puisse en penser sont intéressants puisqu’ils soulignent le rôle majeur de la perception auditive dans l’appréhension des sonorités parolières. Les Anglais et les Français « entendent » les sons de leur langue maternelle dans des zones fréquentielles particulières n’ayant rien en commun. Ces données permettent d’expliquer les problèmes liés à l’accent et à la prononciation si fréquents dès qu’une personne se met à parler dans une langue étrangère. Ces erreurs de production en L2 trouvent leur origine dans une perception inadéquate de ses sonorités. Et ceci est naturel puisque les zones fréquentielles privilégiées d’une L1 ne recouvrent pas, ou alors partiellement, celles d’une L2… »