Le rang, entre paysage et patrimoine publié le 31/07/2007  - mis à jour le 25/06/2012

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Le régime seigneurial au Canada a fait l’objet d’une production plutôt abondante et a suscité régulièrement de vifs débats entre les historiens. Deux démarches dominent la production historique.
 La majeure partie des recherches menées dans la perspective de la colonisation a porté sur l’occupation du sol.
 D’autres auteurs ont choisi une perspective rejoignant la formation des collectivités locales, les stratégies des familles et des seigneurs et se sont davantage intéressés au fonctionnement du régime seigneurial.

C’est à la croisée de ces pistes de recherche que nous souhaitons placer notre travail. Le système seigneurial donne un cadre de vie aux habitants de la colonie, c’est un outil devant favoriser le peuplement et la mise en valeur du territoire. Derrière le cadre seigneurial, on peut observer la conquête des paysages à travers le tracé des rangs qui témoignent de cette occupation croissante. Le premier rang, parallèle au fleuve, correspond à l’occupation des rives du Saint-Laurent, les rang suivants, parallèles au premier, permettent d’observer le peuplement colonial étudié par Jacques Mathieu.

Vue aérienne d’un rang
agricole de la plaine
du Saint-Laurent
1988, MRC de Joliette,
Saint-Ambroise (Lanaudière)
Photo de Michel Neveu,
Don de Département
de géographie, fourni
par Collège de Maisonneuve,
3,5 x 2,5 cm Robert Rhéaume ;
@ Québec en images, CCDMD

Le régime seigneurial : un cadre de vie sous le Régime français

Louise Dechêne rappelait que celui qui regarde à vol d’oiseau le paysage rural du Québec est frappé par l’uniformité des alignements et des superficies, par la succession monotone des champs parallèles allongés. Ce sont en partie les traits du finage du Canada français que nous pouvons observer, les marques d’une institution qui présidait à la distribution des terres. La forte prégnance sur le paysage traduit le caractère premier de la seigneurie.

« Maîtrise du territoire » et inscription dans le paysage : le rang et les seigneuries

Selon Cécile Vidal, l’implantation du régime seigneurial s’inscrit d’abord aux yeux des autorités dans le cadre d’une politique rationnelle de « maîtrise totale du territoire ». Cette politique intègre le rang, que l’on ne peut concevoir selon Serge Courville qu’en étroite relation avec la tenure en fief, l’un étant destiné à fournir au colon son cadre d’exploitation, l’autre, son encadrement économique et social.
La censive, l’élément de base de l’espace seigneurial, cette terre concédée par un seigneur à un individu moyennant redevances, présente une configuration d’une remarquable régularité. Le recours à une forme géométrique, le rectangle allongé, est systématique quels que soit l’époque, le lieu et le schéma d’occupation.
Les autres formes, notamment les « pointes de chemises », sont exceptionnelles et liées à des contraintes topographiques fortes. Le rectangle allongé se justifie par l’accès à la voie d’eau à des fins de communication, de subsistance et de services, un partage équitable des diverses qualités de sol se succédant de la devanture à la profondeur du fief, une facilité d’arpentage, etc .
Malgré une régularité d’ensemble sur le plan de la forme, les censives diffèrent considérablement par leur taille, en particulier d’un rang à un autre et d’une seigneurie à une autre. Leur superficie est variable, même si plus des trois quarts des censives ont, d’après les aveux et dénombrements de 1725, un front compris entre deux et cinq arpents (un arpent au Québec équivaut à 58,47 mètres contre 71,46 en France). Les censives de moins de un arpent comme celles qui dépassent les six arpents de front restent exceptionnelles.
Les censives trop étroites sont difficilement viables alors que des fronts très larges induisent une augmentation des redevances habituellement fixées en fonction de cette variable. D’une seigneurie à une autre et même entre deux rangs d’une même seigneurie, la profondeur des terres varie en général entre 20 et 42 arpents. Mais on trouve des profondeurs de toute taille. La superficie des censives dans les seigneuries éloignées des principaux centres de peuplement double facilement la taille moyenne des exploitations. Les contraintes naturelles mais aussi les stratégies seigneuriales expliquent ces variations forcément localisées.

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