L'émigration protestante en direction de la Nouvelle-France publié le 25/06/2007  - mis à jour le 21/06/2012

Les premières tentatives de colonisation française en Amérique du Nord ont lieu à une période où la France est sujette à des conflits politico-religieux. C’est ainsi que va naître l’idée d’établir hors de France une colonie pour les protestants.

Luther (Doc libre de droits)


De nombreuses expéditions en direction du continent américain sont menées par des protestants afin de fonder un lieu de refuge. D’ailleurs les premiers comptoirs mis sur pied à Tadoussac, à Port-Royal et à Québec sont des établissements commerciaux, mais il s’agit cependant toujours de tentatives de colonisation réalisées par des protestants.
Cependant, il faut dans cette prise de possession de la Nouvelle-France distinguer deux périodes : celle qui s’étend de la découverte du Canada par Cartier en 1534 jusqu’en 1627 date à laquelle la charte de fondation de la compagnie des Cent-Associés exclus les protestants de la Nouvelle-France ; et la période qui suit, qui ne signifie d’ailleurs pas pour autant l’arrêt de l’arrivée des protestants au Canada.
Entre 1534 et 1627 dans le cadre des premières tentatives d’exploitation du territoire les protestants se montrèrent les individus les plus intéressés au développement du commerce.
François 1er ordonne à Cartier d’instruire les Indiens « en l’amour et crainte de Dieu et de sa sainte foi et doctrine chrétienne ». En 1598, Henri IV établit dans le royaume un régime de tolérance : les protestants reçoivent le droit d’existence légale au côté des catholiques.

Révocation de l’Edit de Nantes
(Doc libre de droits)

Cette situation va permettre aux marchands protestants de diriger des établissements coloniaux en Nouvelle-France. Les commissions accordées à Roberval puis Chauvin ou bien de Mons en 1604 sont significatives. Paradoxe, c’est ces hommes qui seront chargés d’implanter la foi catholique. Mais comme l’atteste de nombreuses sources, ils dirigeront leurs entreprises comme ils le veulent. Chauvin ne part qu’avec des « ministres calvinistes », de Mons est plus souple puisqu’il embarque des pasteurs et des prêtres. Champlain est d’ailleurs un des premiers à s’élever contre ces procédés et il fait remarquer « Ce qui fut à blasmer en cette entreprise, est d’avoir donné une commission à un homme de contraire religion, pour pulluer la foy Catholique Apostolique et romaine, que les hérétiques ont tant en horreur et abomination ». Mais ce dernier qui reçoit une commission de commandant en la Nouvelle-France fréquente assidûment les milieux protestants. En outre, il épouse une protestante Hélène Boullé en 1610 et dans le contrat de mariage il est spécifié que les conventions matrimoniales ont été faites selon le consentement et l’avis de Pierre de Mons.
En 1620, quand les hommes de Caen obtiennent le monopole, c’est encore une famille protestante qui va diriger les destinées de la colonie et où l’objectif est toujours d’implanter le catholicisme.
Cette situation va entraîner de nombreuses tensions, querelles entre catholiques et protestants que ce soit à Port-Royal, à Tadoussac ou bien à Québec avec des répercussions fatales pour le bon fonctionnement de la colonie. Les catholiques se plaignent d’être obligé d’assister aux offices protestants pour être bien vu des dirigeants. L’arrivée des Jésuites en 1625 donna lieu à des querelles pour les loger, tout le monde à Québec leur refusant le gîte. Ne sachant s’ils obtiendraient la permission de débarquer, ils étaient tout proches de reprendre le large pour rejoindre la France et c’est finalement les Récollets qui furent autorisés à les loger dans leur couvent. On comprend mieux le rôle de ces mêmes jésuites dans l’exclusion des protestants plus tard. En effet, Récollets et Jésuites vont remettre en cause la présence protestante. Pour eux, les marchands sont responsables du non peuplement de cette colonie puisqu’ils ne recherche que leur intérêt et se soucient fort peu d’évangéliser les populations autochtones. Ils vont donc l’écrire au Roi et les diverses pressions commencent à porter leurs fruits vers 1625. Les détracteurs de ces marchands protestants ne vont donc pas tarder à se faire entendre, d’autant plus que le royaume doit en découdre avec le soulèvement protestant. Richelieu et Louis XIII se préparent à prendre la ville de la Rochelle.

Port de La Rochelle
(inventaire des lieux de mémoire)


Tout ceci explique donc l’exclusion de protestants dans la charte de fondation de la compagnie des Cent-Associés en 1627. D’autre part, il s’agissait par cette mesure de s’assurer de la fidélité des habitants de la Nouvelle-France vis-à-vis des voisins proches de la colonie, les Anglais et Hollandais protestants. Comment conserver cette colonie si, ces protestants se révoltaient comme les rochelais en faisant appel à leurs coreligionnaires des colonies voisines. D’ailleurs pour certains l’expédition anglaise des Kirk avait été organisée en 1628 avec la complicité de protestants français révoltés.
Malgré l’interdiction de venir s’établir au Canada, leur présence est attestée tout au long du régime français ; Il est difficile de les identifier et de les dénombrer. Rares sont ceux qui affichent leur croyance, mais, les « nouveaux catholiques » (les personnes ayant signé un acte d’abjuration), sont toujours considérés comme suspects. Ces hommes vont régulièrement occasionner des plaintes et de nombreux rapports permettent de constater leur présence pendant toute la période. De plus, le commerce de la colonie dépend toujours et en grande partie, des armateurs et des marchands protestants de La Rochelle. Leurs visites, les commis qu’ils entretiennent permettent de maintenir l’hérésie et cette présence continue d’inquiéter les religieux comme en témoigne les Relations des Jésuites.
L’arrivée à Québec de Mgr de Laval en 1659 va constituer une étape supplémentaire dans la lutte du clergé. C’est surtout la venue des colons originaires de La Rochelle qui inquiète Mgr Laval. Il va donc s’empresser d’expliquer, lors d’un passage en France, que ces personnes sont peu laborieuses et donnent le mauvais exemple aux anciens habitants du Canada ; à cela il ajoute qu’ils sont pas « fort zélées pour la religion ». En 1664, Colbert promet à l’évêque de faire cesser cet état des choses et de faire venir plutôt, à l’avenir, des colons de Normandie. Mais malgré ces promesses la situation concrète ne change pas et les protestants continuent à s’établir.
Jusqu’à la mort de Louis XIV, les autorités ecclésiastiques de Québec vont multiplier les règlements pour limiter l’impact des protestants dans la colonie. C’est un demi-succès, puisque l’autorité civile est consciente de la nécessité de la présence protestante pour le bien du commerce. Après 1715, la tolérance est encore plus forte, et l’arrivée massive de colons et de marchands en provenance de l’Aunis est attestée, ce dont se plaint l’évêque de Québec au ministre de la Marine. Désormais, on peut affirmer qu’il y aura des protestants jusqu’à l’entrée des troupes anglaises à Québec en 1759. Un soldat britannique note dans son journal que lors d’un service protestant célébré dans la ville, plusieurs protestants français y assistèrent avec les soldats anglais.
Ces hommes qui maintiennent le fait protestant en Nouvelle-France sous le régime français ont des origines géographique, sociale diverses. Mais pour un très grand nombre, ils viennent de la Rochelle et leur rôle a été prépondérant au 17ème siècle dans la colonisation. En plus des protestants de La Rochelle, le Poitou et la Saintonge vont fournir de forts contingents. En ce qui concerne la provenance sociale, l’inexistence d’état civil protestant rend la tâche difficile ; il faut reconnaître que le commerce a toujours été une occupation très prisée des protestants. A ces marchands il convient d’ajouter les soldats dont certains abjurent, puis les hommes de métier et même des prisonniers et enfin des prisonniers.

Bibliographie

 BAIRD C.W, Histoire des réfugiés huguenots en Amérique, 1880, p. 51
éditeur : Société des livres religieux

 1978, BEDARD Marc-André, les protestants en nouvelle-france,Québec de 1665 à 1760,
éditeur : Société historique de Québec.

 VOISINE Nive et autres, Histoire de l’Église catholique au Québec, 1608-1760, Montréal,
éditeur : Fides, 1971

 LALONDE Jean-Louis , Des loups dans la bergerie. Les protestants de langue française au Québec, 1534-2000, Montréal,
éditeur : Fides, 2002. 460 p.

 LARIN, Robert, Brève histoire des protestants en Nouvelle-France et au Québec (XVIe-XIXe siècles), Saint-Alphonse-de-Granby,
éditeur : Les Éditions de la Paix, 1998, 206 p

 Actes du colloque de l’ACFAS 1997, L’identité des protestants francophones au Québec : 1834-1997, Montréal, ACFAS,
_éditeur : « Les cahiers scientifiques » n° 94, 1998

 Mémoire de l’évêque de Québec sur les protestants, 1670 (Massachusetts Archives French collections, vol. II, p. 233) cité dans Hist. des réfugiés huguenots en Amérique, p. 87

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Auteur

 Jocelyn Sala

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