Développement économique ou Révolution industrielle au Québec ? publié le 23/07/2007 - mis à jour le 21/06/2012
Les liens forts avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis d’Amérique ne peuvent laisser le Canada à l’écart de l’industrialisation et plus largement d’un développement économique au XIXe siècle. Les contraintes naturelles, le peuplement progressif et l’élargissement de la fédération canadienne conditionnent assez largement cet essor.
Pour autant peut-on parler d’une Révolution industrielle à propos du Canada ou du Québec ?
L’historiographie québécoise n’abuse pas, c’est un euphémisme, de cette expression. Il est plus courant de lire l’expression développement économique du Québec dans les productions historique. Si les indicateurs économiques ne manifestent pas toujours des amplitudes de variations aussi significatives qu’en Europe ou aux Etats-Unis, la modernisation économique est réelle et les conséquences sociales sont majeures, comme l’urbanisation par exemple.
Pour un développement plus détaillé, on se reportera à l’Histoire du Québec contemporain, duquel nous avons pris beaucoup (Références en fin de synthèse).
Les éléments d’une Politique Nationale pour favoriser le développement économique
Inséré dans l’orbite économique du Royaume-Uni et des Etats-Unis, le Canada a dû adopter pour s’assurer un certain degré d’autonomie et de croissance économique une stratégie de développement reposant sur trois axes.
- Le premier consiste à viser l’important marché britannique en profitant d’une protection douanière aux produits importés de ses colonies. Mais à partir des années 1840 Londres élimine progressivement des privilèges en imposant graduellement le libre-échange. Le Canada n’obtiendra pas de préférence tarifaire dans l’Empire par la suite.
- Le second consiste à s’ouvrir sur le marché américain qui est en pleine expansion dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Canada et Etats-Unis s’octroient mutuellement des concessions tarifaires réciproques avec le traité de réciprocité signé en 1854.
Les droits de douane entre les deux pays sont supprimés à la fois pour les ressources naturelles que pour les productions agricoles. Sous la pression des industriels américains ce traité n’est pas reconduit à l’expiration du traité en 1866. - Le troisième : à l’image des Etats-Unis, le Canada entreprend la construction d’un vaste marché intérieur protégé de la concurrence étrangère.
Cet objectif implique l’intervention de l’Etat et impose trois conditions : l’extension du marché intérieur, l’établissement d’une infrastructure pour faciliter les échanges, et une politique tarifaire pour appuyer l’industrialisation.
L’extension géographique du marché national
Il faut retenir 5 étapes dans le processus d’élargissement du marché :
- 1840 marque l’unification du Haut et du Bas-Canada (Ontario et Québec),
- à l’Est, deux nouveaux territoires, les deux provinces maritimes, rejoignent ce Canada-Uni avec l’établissement de la Confédération en 1867, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Ecosse.
- en 1869, la Terre de Rupert et les Territoires de l’Ouest et du Nord rejoignent cet espace économique après un accord entre le gouvernement du Canada et la Compagnie de la baie d’Hudson.
- l’ouverture sur le Pacifique est assurée après l’entrée de la Colombie britannique dans la fédération canadienne.
- en 1873 l’Île du Prince-Edouard rejoint également la confédération. Cette expansion territoriale est doublée d’une expansion démographique, rendue possible grâce à une ambitieuse politique d’immigration européenne.
Ainsi les Européens qui choisissent de s’installer dans l’Ouest canadien reçoivent une terre (homestead) qu’ils pourront mettre en valeur.
Le développement des infrastructures de transport
L’axe du Saint-Laurent et les Grands lacs constituent à l’évidence l’épine dorsale du réseau de communication. La circulation y est facilitée par de nombreux aménagements et la constitution d’un vaste réseau de canaux.
A partir de 1850, le chemin de fer devient le principal instrument d’unification. Un premier réseau est achevé en 1854 : il relie Sarnia en Ontario à Rivière-du-loup au Québec. Le second, l’Intercolonial, est construit entre 1868 et 1876 et relie le Québec, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Ecosse. Le Canadien Pacifique intervient avec l’expansion de l’Ouest, il met en contact les provinces centrales à l’Océan Pacifique à partir de 1885.
L’Etat canadien supporte l’essentiel de ces investissements, il subventionne également les compagnies privées de chemins de fer.
Une politique protectionniste
Dans le même temps, l’Etat développe une politique protectionniste. Les tarifs douaniers sont augmentés une première fois lors du refus des Américains de renouveler le traité de libre-échange.
A la suite de la crise économique de 1873-1878, le gouvernement fédéral impose à partir de 1879 des tarifs protectionnistes qui taxe la plupart des produits manufacturés importés à un taux d’environ 25 à 30%.
Au total cette politique nationale de développement économique conduite par l’Etat a eu un succès relatif qui s’explique par des conditions économiques défavorables jusqu’en 1896, en raison de la Great Depression (1873-1896).
Le développement canadien en perspective : deux thèses historiographiques.
La thèse laurentienne
Cette thèse très longtemps dominante reste intimement liée à la société qui l’a produite, dans les années 20-30, à la faveur de la poussée du nationalisme canadien-anglais. Elle rejette l’argument véhiculé depuis la fin du XIXe siècle, selon lequel le Canada est fragile, il est une création artificielle voire une absurdité géographique. On soutient que la vallée du Saint-Laurent fonde l’existence du Canada comme économie puis comme pays.
La thèse fait de la vallée du Saint-Laurent une sorte de système constitué autour d’un « staple », c’est-à-dire d’une ressource naturelle facilement exploitable et trouvant preneur sur le marché mondial, d’où l’importance des réseaux de transport. La bourgeoisie canadienne, essentiellement torontoise et montréalaise, est l’actrice principale.
Quand disparaît le commerce des fourrures comme activité dominante, elle se tourne vers le commerce du bois et des blés. Les centres directeurs de cette économie sont localisés sur des points stratégiques : Québec au XIXe siècle, Montréal puis Toronto imposent leur domination au XXe siècle.
Très clairement dans la perspective laurentienne, le Québec est un élément d’un système plus vaste, le développement interne du Québec est éludé.
La thèse Faucher
Faucher oppose à la thèse laurentienne une vision plus continentale qui postule le caractère déterminant de la technologie sur le développement économique. A partir de ce principe, il se forme, selon lui, des espaces économiques dont les frontières ne coïncident pas nécessairement avec celles des entités politiques, puisque la croissance ou la développement d’un espace économique donné repose en dernière analyse sur l’état de la combinaison technologie-ressources naturelles.
Les rythmes de croissance et les différenciations spatiales sont alors très largement dépendants des inégalités de répartition des ressources naturelles comme de l’évolution générale de la technologie.
Dans l’histoire économique de l’Amérique du Nord, Faucher met en évidence le déplacement du centre de gravité, des villes portuaires vers l’intérieur. L’économie commercial cède le pas. Avec l’industrialisation, fer et charbon sont déterminants et les pôles de développement se déplacent vers les régions de l’intérieur qui possèdent ces minerais.
Au début du XXe siècle, l’électricité et les nouveaux alliages permettent l’essor de nouvelles régions.
Dans cette conjoncture, le Québec, qui avant 1866, vit une ère commerciale caractérisée par la prédominance du commerce et une technologie reposant sur l’eau et le vent, ne bénéficie pas d’une forte croissance et subit même un ralentissement de sa croissance de 1866 à 1911, faute de ressource en fer et en charbon. L’année 1911 marque une ère nouvelle puisque le Québec dispose de nombreux atouts en terme d’hydro-électricité.
Avec cette thèse, Albert Faucher dépasse l’explication traditionnelle de l’infériorité économique des Canadiens français qui privilégiait les facteurs culturels. Il replace cette province dans son cadre continental nord-américain.
Les principaux éléments du développement économique
On pense spontanément à l’affirmation souvent répétée selon laquelle le développement industriel [Faucher et Lamontagne, “L’histoire du développement industriel au Québec” (1953)] de cette province a été très lent par rapport à celui d’autres régions de l’Amérique du Nord.
L’observation est exacte si l’on se réfère à la période la plus longue de notre histoire économique, celle qui va jusqu’à 1939. En un siècle, de 1839 à 1939, l’emploi dans les industries manufacturières n’a augmenté que d’un peu plus de 200,000 personnes. Mais il faut aussitôt ajouter que le Québec a vu ses effectifs industriels s’accroître d’un nombre aussi élevé durant la courte période 1939-1950.
Le rythme de la croissance industrielle, pendant ces onze dernières années, a été dix fois plus rapide qu’il l’avait été durant les cent années précédentes et plus rapide aussi que celui de la croissance industrielle dans l’ensemble du Canada.
On peut observer une forte mécanisation de l’agriculture, la montée de l’industrie laitière, le mouvement de colonisation des terres neuves, et les jonctions entre le système agro-forestier et le démarrage industriel.
Le passage de la phase I de la Révolution industrielle basée sur le fer et le charbon vers la phase II fondée sur les métaux non ferreux et l’hydro-électricité va permettre au Québec de se développer davantage et mieux. Sur le plan financier, on peut dire que le Québec dès 1850 a presque deux systèmes financiers séparés, l’un pour les francophones l’autre pour les anglophones. Les Québécois francophones ont souffert de cet accès moins facile au capital et vont mettre en place des institutions parallèles quand la petitesse de leurs banques va les rendre vulnérables.
À cette époque où Montréal est le centre commercial et financier le plus important de la colonie, un changement aussi radical modifie la stratégie économique de l’élite du monde des affaires du Canada et du Québec. La solution est de transformer le Canada en un pays industrialisé et l’Acte constitutionnel de 1867 en est l’expression politique.
Cette année-là marque le commencement de la quatrième période (1867-1945), qui se caractérise par la montée du capitalisme industriel. Le Québec, surtout la région et le port de Montréal, joue un rôle crucial dans l’industrialisation du pays. En 1900, 51 % des usines sont situées en Ontario, comparativement à 32 % au Québec. Les principales industries du Québec se trouvent dans le secteur du textile, de la chaussure, des aliments, des chemins de fer et du bois d’oeuvre.
En 1900, l’hydroélectricité est déjà la principale source d’énergie, tandis que les usines de pâtes et papier ainsi que les alumineries offrent de nombreux emplois et attirent d’importants investisseurs étrangers.
Étant donné que la majorité des nouvelles industries sont cependant concentrées en Ontario, l’essor de l’économie québécoise est beaucoup moins spectaculaire durant les années 20. Le Québec participe pleinement au développement des industries des pâtes et papiers et des métaux non ferreux, mais nullement à l’industrie automobile et très peu à celles des appareils électriques. En outre, parce que l’industrie au Québec compte une plus forte proportion d’activités à faible productivité qui ne peuvent donc payer des salaires élevés, les travailleurs de l’Ontario sont mieux payés en moyenne que ceux du Québec.
Le Québec de 1870 vit une transition importante du capitalisme commercial au capitalisme industriel. Le Québec des années 1970 voit pour sa part un passage accéléré du capitalisme industriel à une économie d’information. L’Etat devient un acteur important dans cette construction en s’appuyant d’abord sur le mouvement coopératif et la Caisse de dépôt et placement avant de parier sur la déréglementation. _ Ce n’est que dans les années 1980 que le Québec prend un virage néolibéral, encore que bien modéré : après l’Etat-providence des premières années, et l’état planificateur des années 60-70, c’est l’ère de l’Etat-stratège [C. Navarre, « L’Etat stratège », L’Analyste, 1986).
Entre ces deux dates, le régime économique du Québec se transforme lentement [Gilles Paquet, « Les mutations de notre économie-monde : des révolutions sans miracles », Etudes Internationales, 1983).
Le secteur tertiaire évolue plus récemment. C’est dans l’après-guerre que l’économie québécoise vit le grand mouvement de tertiarisation qui va déclencher une grande mutation dans le procès économique. La dématérialisation de la vie économique va prendre plusieurs formes et donne à la recherche et au changement technique une importance nouvelle.
Un puissant mouvement d’urbanisation et d’industrialisation qui s’amorce au tournant du 20e siècle va créer des villes comme Maisonneuve. De 1850 à 1930, le taux de la population urbaine connaît une croissance régulière. En 1871, il n’y a que 15 % de la population qui vit dans les villes. Deux décennies plus tard, ce nombre a doublé pour atteindre 52 % en 1921. Pourtant ce développement des villes ne suffit pas à absorber la main d’œuvre excédentaire venant des campagnes, beaucoup choisissent toujours l’émigration vers les Etats-Unis, au moins jusqu’à la grande crise de 1929. La très grande vague d’urbanisation va se faire à l’époque de la Seconde Guerre Mondiale
On lira avec profit :
- Histoire du Québec contemporain. De la Confédération à la crise (1867-1929), Paul-André Linteau, René Durocher et Jean-Claude Robert, Boréal, Québec, 1989, 750 pages.
- Histoire du Québec contemporain. Le Québec depuis 1930, Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert, François Ricard, Boréal, Québec, 1989, 825 pages.
Vous pouvez retrouver de l’iconographie sur ce thème sur le site du Musée Mac Cord, en particulier les images suivantes :
Usine de laminage de Montréal :
19e siècle, encre sur papier - Gravure sur bois, 11.4 x 20.2 cm, Don de Mr. David Ross McCord, 1930.50.3.52, © Musée McCord
Montréal, La grève des journaliers du port
Scieries et usines de pâtes et papiers, chutes de la Chaudière, Ont.-Qc, vers 1928
La Rue Notre-Dame avec l’édifice Mc Gill, Montréal, Qc, vers 1910
20e siècle, Encre de couleur sur papier monté sur carton – Photolithographie, 8 x 13 cm, Don de Mr. Stanley G. Triggs, MP-0000.833.8, © Musée McCord
Premier écluse du canal de Lachine, Montréal, QC, vers 1910