Le chant choral dans les collèges par Philippe Bazin, IA-IPR Education musicale et chant choral. Etat des lieux 2013-2014. publié le 10/05/2014  - mis à jour le 06/01/2015

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3. CE QUE LES CHIFFRES NE PEUVENT PAS DIRE : LES APPRENTISSAGES DES ELEVES.

Ce qu’un élève apprend à la chorale n’entre que très marginalement dans les schémas traditionnels d’évaluation individuelle : un tableau excel n’en rend pas du tout compte. Cela devrait être mieux valorisé dans le parcours d’un collégien, en particulier en insistant sur les compétences que développe cette pratique, mais il n’y a pas de danger qu’une notation, un examen viennent sanctionner les performances chorales d’un élève, dans un domaine censé se situer très à l’écart de ce que l’on appelle les « fondamentaux ».

Du reste, on a peine à imaginer ce que pourrait signifier l’évaluation individuelle d’une performance chorale : c’est bien dans le collectif que réside le fondement et la particularité du chant choral.

A partir de cette observation, l’on ne développera pas ici les éléments le plus souvent évoqués, à juste titre d’ailleurs, au sujet des apports éducatifs du chant choral : entre autres les capacités auditives, vocales, respiratoires, posturales, la mémoire, l’attention, la confiance en soi, toutes qualités, bien réelles et hautement estimables, qui caractérisent l’individu. Mais c’est sur la personne, c’est-à-dire l’être humain parmi et avec les autres, que le propos sera focalisé.

a. Une pédagogie du sens collectif.

De tous les enseignements délivrés au collège, le chant choral est celui qui associe le mieux mobilisation de l’effort individuel désintéressé, conscience du groupe, engagement dans un projet collectif et sens du long terme dans la récolte des fruits de son effort. De fait, tout le long des nombreuses répétitions qui conduisent à l’éclosion du concert public, l’élève expérimente très concrètement l’idéal éducatif décrit par un célèbre philosophe et économiste anglais : « éduquer à trouver son bonheur dans la réalisation d’un projet collectif » (John Stuart Mill, L’Utilitarisme, Londres, 1861).

b. La réussite de chacun dans un mouvement permanent d’entraide.

Personne n’échoue, à la chorale ; aucune compétition, personne n’est classé, sinon en voix aiguës, moyennes ou graves, tout aussi indispensables les unes que les autres. Le trou de mémoire, la défaillance individuelle momentanée sont sans aucune conséquence dévalorisante pour l’estime de soi : ils sont immédiatement compensés par la stabilité vocale des choristes voisins, dans une sorte de « copiage » permanent. Au contraire d’une situation d’examen individuel, celui-là est tout à fait licite et positif puisqu’il favorise le développement des capacités d’écoute mutuelle, de confiance, d’ouverture. Concurrence, domination sont des notions radicalement étrangères à la pratique chorale.

c. Une pédagogie de l’intériorisation des normes.

Même si ponctuellement un choriste peut se voir confier un solo, la chorale est par nature un espace social égalitaire. Mais qu’en est-il de la liberté du choriste, de son autonomie ?

Dans un premier temps, l’on constate que c’est comme dans la vie : cette liberté n’existe que dans la mesure où elle respecte celle des autres. Mais pour un adolescent, nous savons tous combien cette limitation peut être source de déséquilibre : en même temps que la nature lui impose de croître, la société le contraint à se contenir.

Dans le chant choral, cette contrainte revêt deux aspects :

  • l’un, tangible, visuel : le « chef » avec ses gestes, son regard ; aux yeux du choriste collégien, il est un élément de plus dans la litanie des adultes dont l’autorité l’empêche de n’en faire qu’à sa tête ;
  • l’autre, immatériel, auditif : le flux musical avec toutes ses composantes (rythme, mélodie, harmonie, timbre, intensité, articulation, etc.).

Il est aisé de comprendre que, d’une part, ce second aspect est la norme qui englobe le premier, et que, d’autre part, dans sa perfection artistique immanente, il est ontologiquement juste, et à ce titre source du plus grand bien-être. C’est sans doute précisément en cela que réside l’efficacité du chant choral dans l’apprentissage de la liberté : le choriste apprend à se soumettre à un cadre institutionnel où la sensation d’arbitraire, réaction primale à toute injonction, est surmontée par le sentiment heureux d’accéder à un degré élevé de justesse dans la mise en cohérence de l’effort de tous.

Parmi ses multiples vertus, la chorale fait ainsi expérimenter aux élèves les prémices de ce que Paul Ricoeur résume en une formule lumineuse : « une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes » (Soi-même comme un autre, Paris, 1990). Qu’il soit indispensable, pour cela, de savoir lire, écrire et compter, nul ne songerait à le contester ; mais ce sont là préalables individuels, et il est indispensable d’en apprendre davantage. Il faut savoir être, et plus encore savoir être ensemble, non pas solitaire, mais bien solidaire : quiconque a appris à chanter en chœur sait que le monde est meilleur quand de justes mots sont partagés d’une façon artistique.

Document joint

A partir des témoignages en provenance de la très grande majorité des collèges de l’académie, l’IA-IPR d’éducation musicale et chant choral Philippe Bazin a rédigé l’étude que vous trouverez dans ce document. Au-delà des chiffres, dont le recueil n’a jamais été aussi exhaustif, ce texte présente quelques éléments de réflexion sur ce qu’apporte la pratique du chant choral aux apprentissages des collégiens, en particulier dans le domaine des compétences sociales et civiques.