Le temps : ça s'apprend par corps ? publié le 12/12/2014  - mis à jour le 06/01/2015

La facette immatérielle " du temps "

De nombreuses pratiques traditionnelles semblent perdurer à l’école maternelle, reposant toutes sur la facette immatérielle « du temps » avec l’arrivée très précoce d’outils de représentation du temps dans les affichages des classes (frises et calendriers en tout genre agrémentés parfois de décors enfantins...). On peut comprendre cette profusion d’outils car il est bien compliqué d’aborder la notion temporelle sans vouloir la fixer avec des outils sociaux mobilisés au quotidien par les enfants plus âgés (agenda, calendrier, frise historique...).

Nos expérimentations

Ce nouveau document relate nos expérimentations auprès d’enfants âgés de trois à six ans. Nous avons fait le choix de proposer une situation identique à tous ces élèves et d’observer la façon dont ils s’approprient ces situations problèmes temporelles. Les activités décrites dans la suite de ce document, ont été réalisées dans une classe de Petite et Moyenne Sections de 28 élèves à l’école maternelle Plaisance de Tonnay-Charente, ainsi que dans une classe de CP de 22 élèves à l’école élémentaire Plaisance de Tonnay-Charente. Nous vous en proposons une synthèse à partir de courts extraits vidéos qui nous semblent faire apparaître « des évidences » à la fois sur la posture du maître auprès de chaque classe d’âge, mais également sur les réelles possibilités d’appropriation des élèves.

Postulats de départ

Quelques postulats de départ nous ont guidés pour construire nos séquences d’apprentissages. Ils peuvent se résumer en quelques lignes :

Chaque enfant possède déjà un rapport au temps singulier lié à la façon dont il l’a l’expérimenté dans son système familial. Un peu à la manière des différentes utilisations de la langue dont il a l’expérience avec les adultes qui gravitent autour de lui, la structuration du temps pour chacun va en quelque sorte être teintée par la coloration usuelle qu’en font d’abord les familles. Pour aller plus loin sur cette question, O. Roussel nous fait part en page 6 de cet article de son analyse suite à la lecture de l’ouvrage de Guy AUSLOOS, La compétence des familles. G. Ausloos présente ainsi l’idée que certaines familles se caractérisent par des fonctionnements très marquées dans leur rapport au temps et qui vont être parfois des obstacles majeurs à envisager la possibilité d’évoquer facilement par les mots les événements passés, présents et futurs.

L’arrivée précoce d’outils de représentation du temps est grandement insuffisante, voir inutile sous certaines formes pour permettre à l’enfant de se saisir de cette notion complexe. Nous avons donc émis deux hypothèses de travail : la première est qu’il n’est absolument pas naturel pour un enfant que l’on puisse s’interroger sur la notion de temps. Il en découle l’idée que l’enseignant est celui qui va provoquer des regards conjoints au sein de la classe sur cette notion. La seconde hypothèse, c’est qu’il nous faut en quelque sorte, trouver des supports ou des situations qui puissent marquer l’écoulement du temps pour en constater « ses effets ». Il nous est donc venu l’idée de s’intéresser aux effets du temps sur le corps avec nos élèves. Pour les plus jeunes enfants, nous avons élaboré des situations à partir d’une photo d’eux quand ils étaient « plus petits », pour les plus âgés, nous les avons accompagnés autour de trois photos d’eux à des âges différents, puis nous leur avons demandé de se projeter sur les évolutions futures de leurs corps. Ces séances furent l’occasion de construire progressivement notre système à trois temps (Passé, Présent, Futur) tout en mobilisant du langage spécifique pour l’exprimer. Nos élèves ont été passionnés par ce retour vers leur toute petite enfance, de constater que leurs possibilités d’actions dans le monde s’étaient progressivement élargies avant peut-être de s’amenuiser en rentrant dans la vieillesse.


Séance 1 : La photo de l’enseignant quand il était enfant.

  • Objectif recherché par l’enseignant pour ses élèves : Découvrir que l’on peut s’interroger sur le temps et « parler le temps ».
  • Dispositif : La photo de l’enseignant quand il était enfant est dévoilée au groupe d’enfants.
Le temps ça s'apprend par corps ? séance 1 (PDF de 48.3 ko)

Séance 1 : la photo de l’enseignant quand il était enfant.

Séance 2 : Les photos des élèves quand ils étaient petits

Objectif recherché par l’enseignant pour ses élèves : Appréhender le temps qui passe à travers l’évolution de son corps et de ses possibles d’action.

Dispositif en PS & MS

Il a fallu du temps (plusieurs semaines) pour que chaque famille fasse la tâche demandée : apporter une photo de son enfant quand il était plus petit. Il y eu une grande diversité de photos : enfant seul, enfant en famille, âges très différents, plusieurs photos pour un même enfant... Une fois toutes les photos collectées, elles ont été numérisées pour être projetées en grand format grâce à l’utilisation d’un vidéo-projecteur. Les extraits montrent ainsi les élèves réagir à leur propre photo ainsi qu’à celles des autres.

Dispositif en CP

Les élèves devaient apporter deux photos d’eux à deux âges différents quand ils étaient plus « petits ». Sur pratiquement toutes les photos, l’enfant était seul. Une troisième photo de chaque élève de la classe avaient été prise à l’école le même jour dans le même décor. Une fois les trois photos rassemblées, les enfants devaient les ranger de telle sorte que l’ordre montre qu’ils aient grandi. Dans les extraits vidéos, les élèves expliquent les raisons pour lesquelles ils ont choisi cet ordre.
NB : Les photos des élèves ont été apportées très vite (en quelques jours seulement).

Le temps ça s'apprend par corps ? séance 2 (PDF de 73.4 ko)

Séance 2 : les photos des élèves quand ils étaient petits.

Séance 3 : Et après, comment vais-je grandir ?(Uniquement pour les élèves de CP)

Objectifs recherchés par l’enseignant pour ses élèves :

  • Se projeter dans le temps et être capable d’envisager leurs transformations physiques à venir.
  • Émettre des hypothèses .

Dispositif : En regroupement, les élèves sont placés face à leurs photos rangées dans l’ordre chronologique. Ils rappellent, à la demande de l’enseignante, les critères de rangement qui ont permis cet ordre. La question posée alors est de savoir ce qu’on va mettre après.

« Quelle photo on peut mettre après ? Comment serez-vous sur la photo d’après ? »
A tour de rôle, les élèves vont énoncer les transformations physiques futures grâce aux observations des personnes qui vivent autour d’eux. Ils vont décrire toutes ces transformations tout au long de la vie de l’homme jusqu’à la mort.
« On va encore grandir, grandir...les jambes mais aussi les pieds, la bouche...tout le corps ! » Ils remarquent même avec précision les changements des parties génitales de l’homme et la femme. Ils arrivent même à envisager le physique des personnages âgées ( perte de dents, dentiers, cheveux blancs, veines gonflées, apparition de rides...). La mort est évoquée en fin de séance.

L’enfant en CP est un observateur expert des marques du temps sur le corps et des changements qu’ils occasionnent. Il arrive à situer ces changements sur l’échelle du temps : il passe aisément des transformations passées aux évolutions futures en s’appuyant sur le présent.


En guise de conclusion

Notre choix de lier le temps qui passe et les transformations du corps humain, c’est avéré pertinent pour aider nos élèves à appréhender la notion de temps. D’une part, c’est un sujet qui les a passionnés, leur permettant ainsi de s’impliquer pleinement dans les échanges et les situations problèmes que nous leur posions. D’autre part, les séances menées leur ont permis très rapidement d’utiliser des formulations syntaxiques impliquant des complexités temporelles (des formes verbales du passé, du présent, du futur et divers mots pour expliciter la chronologie des grandes transformations du corps humain). Enfin, ce qui les a peut-être le plus passionnés, c’est de constater que depuis leur naissance, leurs possibilités d’action dans le monde n’avaient jamais cessé de se développer et de croître. Pour certains, ce fut même l’occasion d’asseoir un peu plus de confiance en soi en découvrant cet aspect de leur développement.

En visionnant toutes les vidéos que nous avions stockées, ce qui nous a frappé en premier lieu, c’est le chemin parcouru par nos élèves entre la première et deuxième années de cycle 1. Nous nous sommes aperçu que les postures de l’enseignant étaient radicalement différentes, que l’étayage apporté n’était pas de même nature. On peut ainsi envisager le visionnage des 17 premiers extraits sous cet angle.

Pour synthétiser nos observations sur l’appréhension du temps par nos élèves, nous pourrions en quelques mots dire :

  • Que la première année de cycle 1 est, avant tout, l’occasion de faire découvrir à nos élèves qu’il est possible de s’intéresser à la notion du temps. L’enseignant cherchera ainsi à « parler le temps » au travers de situations qui rencontrent les interrogations des élèves.
  • Que la seconde année de cycle1 est la grande année de l’émergence des possibilités du langage d’évocation entre pairs autour d’une attention conjointe suffisamment construite. L’enseignant devient à cette occasion le « collecteur de parole », poussant ses élèves à organiser leurs propos dans un « parlé long ». Les formes verbales du passé deviennent courantes et il est possible d’envisager des séquences d’apprentissage autour des « temps du passé ». Nous notons, que spontanément, apparaît la notion de chronologie pour organiser les faits du passé. Nos élèves éprouvent alors le besoin d’acquérir de nouveaux mots pour exprimer cette notion.
  • Que la première année de cycle 2 est, en quelque sorte, l’année d’expertise pour percevoir la transformation du corps à travers le temps qui passe. Nos élèves peuvent aisément observer les modifications progressives du corps au fil du temps en envisageant même celles qui se manifesteront plus tard pour eux. Ils perçoivent le cycle de vie complet de l’être humain et mobilisent des formes langagières précises pour en dissocier les grandes étapes.

Le temps des familles, un temps singulier

Note de lecture de l’ouvrage de Guy AUSLLOS : La compétence des familles aux éditions Erès

Ces quelques lignes tentent de rapporter les propos de Guy AUSLLOS (La compétence des familles aux éditions Erès), médecin psychiatre, thérapeute familial, autour de ses observations sur l’utilisation du temps par les familles qu’ils accompagnent au quotidien. Ce qui lui ait progressivement apparu, c’est l’évidence de deux fonctionnements extrêmes et opposés chez les familles qui venaient le consulter :

D’un côte, il y aurait les familles où le temps semble arrêté comme si à partir d’un événement passé et stocké dans l’histoire de la famille, il y avait l’impossibilité d’imaginer une évolution possible depuis son point d’origine. Le temps apparaît alors figé dans un récit immuable qui ne peut intégrer et tenir compte des nouveaux éléments du présent. Ce fonctionnement a été appelé « transactions rigides ». Cela nous ramène aux familles qui pensent que ce qui va se jouer dans notre classe sera exactement la même chose que ce qui s’est passé au cours des années précédentes, elles tentent toujours de nous ramener à point d’origine immuable du passé, rendant extrêmement difficile la possibilité d’envisager du changement ou de l’évolution pour leur enfant.

De l’autre, il y aurait les familles où le temps ne peut jamais être arrêté, aucun événement ne peut être stocké, mémorisé, parlé, rattaché à une date. Les évènements se succèdent sans cesse et viennent constamment tout remettre en question. Il y a comme l’impossibilité de s’arrêter ensemble sur un passage de l’histoire familiale commune. C’est un peu comme s’il y avait perpétuellement une succession de crises avant même de prendre le temps d’en régler une. Guy AUSLLOS a nommé ce type de relations « transactions chaotiques ». Pour nous professionnels de l’éducation, ce fonctionnement nous ramène aux familles qui chaque matin ont besoin de nous parler (parfois même envahir la relation) d’un nouvel événement ou nouvelle catastrophe survenu en dehors de l’école. Ici le passé est comme oublié à mesure qu’il est produit.

Dans les deux cas de figure le passé ne semble plus utilisable comme ressource pour la famille.

Les séquences d’apprentissage proposées à nos élèves ont immanquablement touché quelques familles ancrées dans ces deux fonctionnements opposés et marqués. Il explique en partie pourquoi il a été si long et complexe pour certaines familles de réaliser la tâche autour des photos demandées de leur enfant quand il était plus petit.

Il est à noter que la richesse du travail constaté au cours des séances avec les élèves, l’a été tout autant avec les familles qui me remettaient en « mains propres » la ou les photos sélectionnée(s) pour les activités scolaires. Beaucoup d’informations se sont mises à circuler entre les parents et leur enfant, car chaque fois que je réceptionnais une photo, je prenais le temps pour un temps d’échange avec l’enfant et sa famille autour de sa découverte. J’eus l’impression que je donnais parfois la possibilité d’ouvrir un échange familial autour du temps qui passe.

Documents joints

Le temps : ça s’apprend par corps ?

Le temps : ça s’apprend par corps ?

Le temps : ça s’apprend par corps ?

Le temps : ça s’apprend par corps ?

Le temps : ça s’apprend par corps ?

Le temps : ça s’apprend par corps ?

Le temps : ça s’apprend par corps ?

Le temps : ça s’apprend par corps ?

Le temps : ça s’apprend par corps ?

Le temps : ça s’apprend par corps ?

Le temps : ça s’apprend par corps ?

Le temps : ça s’apprend par corps ?

Le temps : ça s’apprend par corps ?

Le temps : ça s’apprend par corps ?

Le temps : ça s’apprend par corps ?

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Le temps : ça s’apprend par corps ?

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