Poésie : éditions Bruno Doucey 3/3 - Récits biographiques publié le 21/03/2021

Cet article fait partie d’un dossier bibliographique sur la poésie.
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En fin d’article, vous trouverez :

  • Les références bibliographiques regroupées dans un tableur.
  • Des liens vers des listes publiées sur le réseau social littéraire Babélio.

Article co-écrit avec Carole Moreau, professeure de Lettres modernes férue d’Histoire.

Alors que les récits biographiques des éditions A dos d’Ane conviennent pour les écoliers et collégiens, la collection Sur le fil des éditions Bruno Doucey sera plus à proposer en lycée.

La difficulté de ces récits biographiques réside dans le fait qu’ils mêlent la complexité d’une vie réelle à celle d’un contexte historique voire politique. Leur lecture sous-entend la plupart du temps de posséder des références solides en histoire voire en histoire de l’art.

Des extraits de ces ouvrages pourront cependant être étudiés en classe de 3ème.

Sur les couvertures, on retrouve la même identité graphique que sur les recueils et anthologies (des traits obliques). Le façonnage, comme pour la majorité des titres de l’éditeur, permet une tenue en main fluide.

Certains titres existent en version poche chez d’autres éditeurs, les pages citées correspondent aux éditions Bruno Doucey.

Paul Eluard

© Editions Bruno Doucey, Caché dans la maison des fous, Didier Daeninckx

© Editions Bruno Doucey


 Caché dans la maison des fous
Didier Daeninckx
Paul Eduard - 2de Guerre Mondiale - 1943 - hôpital psychiatrique - surréalisme

Le thème de la différence est traité de manière atypique dans cette œuvre qui interpelle le lecteur sur la place et le rôle des asiles durant la Seconde Guerre Mondiale. C’est par le regard de Lucien Bonnafé et de son épouse que le lecteur découvre la vie dans cet hôpital psychiatrique devenu le dernier refuge pour fuir l’oppression nazie. Le lecteur découvre, au fil des pages, la véritable identité de certains « convives » :

« Eugène Grindel, c’est en réalité le poète Paul Eluard...Vous comprenez ? » p.57

Le courant surréaliste est ici présenté dans sa farouche volonté d’exister au milieu d’un monde confronté à la folie humaine : André Breton, Max Ernst, Man Ray, Salvador Dali… la naissance d’un mouvement prépondérant dans l’histoire de l’art nous est présenté dans cet ouvrage qui croise l’art et le quotidien.

Extraits pouvant être étudiés en 3° notamment pour rendre compte :

  • du quotidien de la résistance, p. 100
  • des actes de dénonciation, p.97

Un entretien avec Didier Daeninckx est à écouter sur France culture : Saint-Alban, lieu d’hospitalité : Un asile à l’abri de la folie du monde

Disponible en poche aux éditions Gallimard.


Max Jacob

© Editions Bruno Doucey, Le carnet retrouvé de monsieur Max, Bruno Doucey

© Editions Bruno Doucey


 Le carnet retrouvé de monsieur Max
Bruno Doucey
Max Jacob - 2de Guerre Mondiale - 1943/44 - juif - camp de concentration Drancy

Le récit biographique prend ici la forme d’un journal écrit en deux parties :

  • le carnet bleu : mouvements de l’âme du poète qui sent l’étau du nazisme se resserrer autour de sa condition de juif (novembre 1943 à février 1944)
  • le carnet jaune : conditions de détention au camp du Drancy où il est détenu sous le matricule B 15872 (sous-titre de ce carnet) jusqu’à sa mort le 5 mars 1944.

Son écriture se caractérise par une écriture en prose qui convoque le sens caché ou inconscient des mots :

"Torticolitalie. Le bon mot que voilà pour qui vit le nez en l’air, sa valise à la main." p. 57

Sa volonté de traduire l’indicible par le jeu sur les sonorités de la langue permet au lecteur de concentrer son imagination sur la création d’émotions :

"Petit dictionnaire des mots-valises à l’usage des prisonniers du Drancy (..) exemple : Drancyclope : le monstre nazi se nourrit de chairs humaines" p.59

Son style ne se départit jamais d’une bonne dose d’humour, permettant de rendre compte, en creux, de l’indicible : 

« - Mais comment faites-vous pour être aussi drôle en pareilles circonstances, monsieur Jacob ? - Holocauste, holo-caustique, chère madame. » p.107

La richesse de cette œuvre permet plusieurs entrées : la Seconde Guerre Mondiale, l’écriture de soi, l’écriture poétique, la relation à autrui.


Guillaume Apollinaire

© Editions Bruno Doucey, Les obus jouaient à pigeon vole, Raphaël Jerusalmy

© Editions Bruno Doucey


 Les obus jouaient à pigeon vole
Raphaël Jerusalmy
Guillaume Apollinaire - 1ère Guerre Mondiale - tranchées - 1916

« Il (le sergent Günter) ne ramasse le Mercure qu’après la bataille. Se disant que ça lui fera un souvenir. Une prise de guerre » p. 175

Et voici donc par quel moyen ce texte a pu être édité… retrouvée en Bavière, cette revue, annotée de la main d’Apollinaire relate des réflexions personnelles du poète au front. Déclaré « mort pour la France » (reconnaissance morale des victimes de la guerre) en raison de son engagement dans la guerre de 14-18, Apollinaire a participé aux combats où il fut touché à la tempe par un éclat d’obus.
Grâce aux notes du poète, on partage l’acte d’écriture :

« […] Et puis « ça » a continué avec le parler régimentaire. Irrésistible pour un écrivain. Des phrases courtes. Qui vont à l’essentiel. Sans subordonnées ni complétives. Sans « parce que » ni « et si ». L’armée ne connaît pas le conditionnel. Des abréviations, P.C., Q.G. […] p.51

Le quotidien dans les tranchées où la peur, le manque d’hygiène, la faim, la promiscuité, l’absence de l’être aimé est présenté par le prisme du langage poétique :

« Le poète enfonce son casque sur le crâne. Il rabat les pans de sa vareuse. Sous le pont Mirabeau, coule la Seine… et boum ! Le pont éclate en une gerbe flamboyante, les lettres s’envolent, elles quittent la page, s’élèvent dans l’air. » p.66

Cette plongée au coeur des tranchées avec des personnages truculents (choix des surnoms) permet d’aborder les thèmes de l’écriture de soi, de l’écriture poétique, la relation avec autrui.

De nombreux extraits choisis peuvent être lus et travaillés en 3° dans un projet transversal, EPI (français et histoire) évoquant les conditions de vie des soldats. Le réalisme vient régulièrement s’inviter dans cette œuvre qui dévoile, à la manière d’un journal intime, des mouvements de l’âme humaine au coeur d’un conflit sanglant.
Disponible en poche aux éditions Babel.


Robert Desnos

© Editions Bruno Doucey, Ombre parmi les ombres, Ysabelle Lacamp

© Editions Bruno Doucey


 Ombre parmi les ombres
Ysabelle Lacamp
Robert Desnos - 2de Guerre Mondiale - 1945 - Camp d’extermination

« Je m’étrangle, les mots, ces mots qui restituent avec violence ces images jamais racontées m’arrachent la bouche, me labourent la gorge comme une volée de pierres qu’on m’aurait forcé à avaler » p.149

La douleur physique et prégnante du poète Robert Desnos que le destin place face à ce très jeune survivant du camp de Tezerin (1945) ne parvient pas à juguler la vision nécessaire du poète qui lui seul a le pouvoir de rendre compte de la réalité. Il faut témoigner !

C’est en sollicitant les cinq sens tout au long de son récit que le poète interpelle le lecteur :

  •  « (…) un petit bruit spongieux de cuillère touillant un plat de nouilles. » p.47
  • « Et soudain, il en visualise parfaitement l’ourlet virevoltant sur les mollets ronds et dorés de celle qui deviendra sa femme... » p.35

Les descriptions sont nombreuses et régulièrement émaillées de phrases nominales : le verbe devient un intrus au pouvoir évocateur trop cru, élément syntaxique nécessaire il est régulièrement placé en position de rejet lorsqu’il s’agit de rendre compte d’actes de violence. La scène du viol (p.70) témoigne de ce parti pris. C’est par la déstructuration du langage que le poète rend compte de la folie humaine.

Ce texte ne respecte pas un ordre chronologique, on suit le récit de Desnos dont la définition de l’artiste nous est donnée page 140 : « Bien prétentieux, pauvres artistes, belles limaces, obsédés par la trace que laissera votre sillage !  ».
L’ambition de ce témoignage n’est pas tant de suivre le parcours d’un poète que de revendiquer la place de l’art dans la société :

« L’art était devenu la drogue du ghetto, la seule capable dans un moment de communion extraordinaire de nous permettre à tous de fuir l’implacable réalité » p.146

Proposé en échos avec l’oeuvre de Primo Lévi, il permet de rendre compte de manière crue et réaliste de cette industrie de la mort qu’étaient les camps d’extermination. Il s’agit cependant de veiller à accompagner cette lecture qui peut être particulièrement bouleversante.


Ingrid Jonker

© Editions Bruno Doucey, L'enfant n'est pas mort, Nimrod


 L’enfant n’est pas mort
Nimrod
Ingrid Jonker - années 1960 - Afrique du Sud - apartheid - poème lu par Mandela - suicide

Le destin croisé de deux figures essentielles d’Afrique du Sud : Nelson Mandela et Ingrid Jonker. Nimrod, poète et essayiste contemporain s’efforce à travers cette nouvelle œuvre de démontrer que l’émancipation passe par le pouvoir des mots.

Choquée par le décès d’un bébé noir tué dans les bras de sa mère par des policiers blancs lors d’un massacre en 1960, Ingrid Jonker compose le poème "L’enfant abattu par des soldats à Nyanja" qui commence par ces vers : "L’enfant n’est pas mort".
Ce poème sera lu par Mandela lors de son investiture en 1994.

Tout au long de cet ouvrage, c’est l’humanisme qui est prôné. Comment deux personnes Sud Africaines ont recours à la poésie pour combattre la politique du pouvoir en place. Les réseaux sociaux n’occupant pas encore la place actuelle, c’est le pouvoir évocateur des mots et paradoxalement, l’enfermement qui permettent à Mandela de goûter l’art de la poétesse :

« A Robben Island, il se répète tous les soirs : « Je suis le capitaine de mon âme », pour ravaler ses larmes » p.51
« Mandela est bouleversé ; ce sont les mots d’une poète d’à peine vingt-trois ans. Au même âge, sa conscience d’homme noir végétait encore » p.52

De son côté, Ingrid Jonker mène bravement le combat face à une censure de tous les instants :

« Cependant, est-ce à la politique de dicter nos options esthétiques ? » p.65

C’est avec bravoure qu’Ingrid affronte les plus hautes instances, allant jusqu’à provoquer la rupture inévitable avec son propre père, nommé président de la commission de censure du parlement sud-africain, qui va jusqu’à la renier.

C’est au chapitre 8 (l’ouvrage en comporte 16), qu’apparaît la cassure : 

« Ainsi, tu as des sentiments. Tu en as même pour des gens qui nous sont inférieurs, et tu oses me demander de publier ton torchon humaniste... » p.76

C’est par la voix de Johannes Van der Put, journaliste que la sentence tombe...

Un livre qui trouve son échos dans la réalité sociale contemporaine d’Afrique du Sud où 80 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Un questionnement sur l’impact du rôle politique de Mandela peut être mené avec les élèves à condition d’effectuer un travail de contextualisation en préalable.

Au fil du récit, l’état psychologique d’Ingrid Jonker va se détériorer : elle fera plusieurs tentatives de suicide. A la fin du récit, la jeune femme réussira cependant à échapper à la surveillance de ses proches et se donnera la mort, laissant une enfant de 8 ans.
Comme pour "Ombre parmi les ombres", il s’agira de veiller à accompagner cette lecture lorsqu’elle sera proposée.

Ressources

Liste pour commande

liste-pour-commande-bruno-doucey-biographies (OpenDocument Spreadsheet de 17 ko)

Listes sur Babélio

Des listes sont/seront proposées sur le réseau social littéraire Babélio, elles sont classées par type d’ouvrage (recueils, anthologies, documentaires, livres-objets, etc.). Elles seront complétées au fur et à mesure de la publication des articles.

Pour l’instant, voici les listes disponibles :

 Poésie jeunesse : recueils de poèmes cette liste contient aussi les anthologies d’un auteur.

 Récits biographiques de poètes et poétesses

 Poésie jeunesse : anthologies

 Poésie - Ecrits d’enfants, d’adolescents et d’étudiants

Notes
Cette série d’articles a, en partie, été réalisée grâce aux éditeurs par leurs réponses et/ou envois de SP et/ou l’autorisation de publier des photos de leurs ouvrages ; nous les en remercions. Nous remercions également les bibliothécaires des médiathèques de Haute Saintonge qui veillent à enrichir le rayon poésie.