Du PC au netbook, puis à la tablette : véritable plus-value pédagogique ou fuite en avant technologique ? publié le 02/04/2012  - mis à jour le 18/07/2018

Netbook & Tablette

by bigdigo / CC-nc-sa

Un sentiment de « déjà vu »

Alors que le marché des tablettes tactiles et des smartphones explose dans le grand public, le monde enseignant s’interroge une fois de plus sur la pertinence de « courir derrière » les innovations technologiques. « Les marchands vont-ils nous refaire le coup du mythe des machines à apprendre », c’est la question que l’on entend bien souvent dans les colloques, salons, séminaires (récemment sur le blog de Bruno Devauchelle). La pression du marché, la guerre entre les principaux fabricants, la force du marketing sont telles en effet que l’on craint légitimement que la question de l’usage dans les apprentissages scolaires ne soit que prétexte (voir l’article de Slate.fr « L’iPad à l’école, à qui profite le progrès ? »).

La portabilité des contenus existants (manuels scolaires, notamment), en dépit d’innovations réelles (voir « Apple rêve de remplacer les manuels scolaires par des iPad » sur le site du Figaro) se heurte à un modèle économique encore balbutiant.1

Pourtant la curiosité des enseignants pour ces objets (liseuses numériques, tablettes tactiles) et leurs usages sociaux, est réelle, et les expériences se multiplient en France (la plus connue et massive étant pour l’instant Ordicollège en Corrèze). En mai 2012 ce sont à peu près 10 000 tablettes qui sont déployées dans les établissements scolaires (les écoles primaires d’Angers par exemple), le plus souvent dans le cadre d’expérimentations (académie de Nice, par exemple).

La question de la mobilité

Le rapport Bardi sur « l’école étendue » a mis en évidence l’impact des ENT sur la porosité des frontières entre l’école et la maison (ou l’extérieur). L’université d’été de la cité des Savoirs s’est penchée sur la question de la « mobiquité  ». Récemment encore, un atelier du séminaire « internet responsable » organisé par la DGESCO portait sur la mobilité. Les études sur l’influence des TIC sur les conditions de travail rapportent que la sphère professionnelle a tendance à envahir la sphère privée. La question de la mobilité est donc réelle.

Il est vrai que l’usage des Tice se banalisant dans toutes les disciplines, la salle informatique perd de son intérêt, le besoin du recours à l’informatique étant à la fois plus fréquent et plus ponctuel :

  • Les demandes de classes mobiles (parc de portables déplacé dans un meuble à roulettes) auprès des collectivités se multiplient (extension de la salle informatique ou réel besoin de souplesse ?). Le plan ENR a multiplié le nombre de portables (souvent des netbooks, ou ultraportables) dans les écoles primaires.
  • La baladodiffusion, dont les usages sont en plein essor, pratiquée sur des terminaux (lecteurs mp3-mp4, téléphones) appartenant parfois aux élèves eux-mêmes, complète les laboratoires de langues.
  • Les collectivités dotent les élèves de portables (internat, classes), et bien sûr élèves et enseignants apportent souvent leur matériel personnel dans l’établissement (clés USB ou disques durs externes, portables ou netbooks).2

Ce sont surtout les usages des familles qui tirent le marché vers la mobilité : les portables et netbooks, qui ont déjà détrôné les stations fixes, sont en train de se faire dépasser par les tablettes et smartphones. Mais ces terminaux ne se substituent pas vraiment les uns aux autres : le multi équipement devient la règle, et les tablettes sont plutôt un complément, à la fois aux portables et aux smartphones. L’usage « social » de l’informatique tend vers la banalisation (« n’importe quelle machine peut devenir ma machine, je retrouve mon environnement de travail partout ») et l’individualisation (« je transporte ma machine dans ma poche, qui me donne accès à mes applications et à mes documents ») des terminaux informatiques. A l’école aussi ?

Le nomadisme de l’enseignant (entre les salles, entre plusieurs établissements, entre son domicile et son travail), et celui de l’élève (« migrant pendulaire » maison-école) n’est pas l’itinérance du commercial dans les moyens de transport. Les besoins de terminaux mobiles ne sont pas nécessairement les mêmes. En revanche la mobilité pose des problèmes spécifiques en établissement scolaire. Des problèmes techniques redoutables (généralisation des liaisons sans fil, sécurisation et journalisation des accès, authentification des usagers, gestion du parc, maintenance et renouvellement, compatibilité des ressources sur différentes plates formes, gestion des comptes d’accès aux ressources…), qui trouveront leur solution dans la généralisation des web-services. Mais surtout des problèmes pédagogiques  : gestion de la classe, supervision des groupes, de l’attention des élèves, suivi du travail en dehors de la classe, éducation à un usage responsable des réseaux.

Evaluer les expériences

Les efforts déployés pour accompagner les politiques des collectivités (voir le guide du CDDP 92 (pdf de 2 Mo) pour accompagner la dotation d’iPads dans les CDI des collèges des Hauts de Seine , les scénarios pédagogiques de l’académie de Grenoble sont louables, mais pour éviter de reproduire les erreurs du passé (déploiement des TBI ou de classes mobiles sans réelle évaluation de leur apport, mise à disposition de catalogues de ressources sans formation préalable des prescripteurs…), il est essentiel d’évaluer sérieusement les expériences en cours. Ainsi l’expérimentation du Rhône et surtout l’évaluation du programme Ordicollège par l’IGEN sont-elles l’objet de toutes les attentions.

Avant de s’engager dans une expérimentation il convient de s’assurer qu’au-delà de l’investissement initial le dispositif d’accompagnement pédagogique, d’assistance technique et d’évaluation ont été prévus. Et surtout qu’il existe bien un projet pédagogique cohérent.

Certains pays ont semble-t-il déjà conclu à la nécessité d’équiper les élèves de tablettes : la Thaïlande investit dans 900 000 tablettes, la Turquie équipe ses élèves de 16 millions de tablettes, la Corée investit 1.4 milliards d’euros jusqu’en 2015 pour équiper 8 millions d’élèves3.

Le rapport 2012 consacré aux droits de l’enfant4 note que "la distribution croissante de tablettes dans l’Éducation nationale ne paraît pas s’accompagner d’interrogations approfondies sur leurs effets structurels sur les mécanismes et sur la relation d’apprentissage, ni sur les liens entre les modalités pédagogiques et ces mécanismes. Quelles sont, par exemple, les conséquences cognitives des différentes pédagogies ? Connaît-on vraiment l’efficacité des possibilités technologiques et leur retentissement sur les manières d’apprendre ?"

Evènements 2012

 « Apprentissage et iPad » par la société Apple : 12 avril au CRDP, 7 juin au CDDP de la Charente.
 Tablettes numériques : quels apports pour l’enseignement ? le 12 décembre 2012 au CDDP de Charente-Maritime.
 La journée des documentalistes (14 mai à Poitiers, 22 mai à La Rochelle) portait sur Lire, apprendre avec les ressources numériques.
 Les Actes du colloque Ecritech’3 consacré aux usages des tablettes numériques à l’école (5-6 avril 2012 à Nice) sont en ligne.

(1) Aux Etats-Unis et en Corée du Sud cette question ne fait plus débat puisque tous les manuels scolaires y seront numériques à l’horizon 2015.

(2) C’est la stratégie du BYOD (Bring Your Own Device) désormais acceptée dans de nombreuses entreprises.

(3) Chiffres cités par Jean-Louis Durpaire lors de la clôture du colloque de Nice.

(4) "Enfants et écrans : grandir dans le monde numérique"