L’utilisation d’internet en établissement scolaire publié le 26/05/2009  - mis à jour le 22/08/2018

Un difficile arbitrage entre usages pédagogiques et sécurité

Photo par MR+G - cc/licenses/by

Parmi les pratiques médiatiques numériques les plus prisées des jeunes, l’usage des plateformes de partage de vidéos, le blog et la messagerie instantanée arrivent en tête. L’institution encourage clairement l’utilisation des ressources issues de l’internet dans un cadre pédagogique, et insiste sur l’éducation à leur usage raisonné. Le rapport du sénateur David Assouline considère que le B2i « sous-utilise complètement l’aspect éducation aux médias alors qu’il apparaît comme une priorité du fait de l’écart grandissant entre les capacités des jeunes à maîtriser les technologies et leur inaptitude à prendre du recul vis-à-vis de ces technologies ».

Vertus pédagogiques contre vices moraux, l’utilisation d’Internet à l’école se heurte pourtant à des limites techniques et juridiques incontournables. La nécessité de partager la "bande passante" et de protéger les mineurs justifie les limites actuelles à la liberté pédagogique de l’enseignant.

 
 Les pages suivantes de cet article évoquent quelques points de vigilance sur chacune de ces pratiques médiatiques numériques : la vidéo en ligne, les textes, photos, musiques ainsi que les blogs et la messagerie.

 
 Le cartouche "Liens complémentaires" ci-contre présente quelques pistes en ligne pour enrichir la réflexion.


La vidéo en ligne

Photo par Tanakawho - cc/licenses/by-nc

Communautaires par nature, les sites d’échange de mini-vidéos comme YouTube ou MySpace rassemblent chaque jour une centaine de millions de visiteurs. Google (qui a racheté Youtube un an après sa sortie) et Yahoo ! sont les autres acteurs majeurs de ce phénomène. Dailymotion, la solution française comparable techniquement à Youtube, ajoute plus de 5000 nouvelles vidéos par jour.
Le succès de ces sites tient dans leur contenu, mis en ligne par les internautes eux-mêmes : tout ... et n’importe quoi ! Ce qui n’est pas sans poser des problèmes de désinformation, de contenus choquants, et de distraction des élèves en classe.
Le règlement « interne » de ces sites stipule ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Généralement la frontière ne réside pas dans le contenu mais dans l’intention (d’informer ou de choquer). En gros : « agissez de manière responsable » ! (voir le règlement de Youtube).
Dailymotion invite ses utilisateurs à « signaler tout contenu qu’ils jugent inapproprié en utilisant la fonction « signaler cette vidéo » localisée sous le lecteur de chaque vidéo ». Une auto-régulation idyllique ?

Le principe de navigation sur ces plateformes vidéo implique que l’on puisse butiner d’une vidéo à une autre par auteur, par thématique ou par simple feuilletage (les tags, classements, renvois, permettent une navigation intuitive, et ajoutent des fonctionnalités au simple moteur de recherche). Le simple clic sur le bouton « vidéo suivante » ou « vidéo précédente » propulse l’internaute vers un document dont il ne peut pas anticiper la nature et le contenu. L’intégration de vidéos pédagogiques repérées par l’enseignant dans un blog pédagogique académique n’est donc pas une réponse satisfaisante, les liens vers la plateforme d’origine restant actifs.

Le modèle économique de ces services gratuits n’est pas bien défini. On peut dire toutefois que tous fonctionnent grâce à la publicité, sur le modèle de Google. Publicité parfois très intrusive, parfois plus subtile ou sournoise, personnalisant les messages et les ciblant selon les centres d’intérêts manifestés par le jeune lors de son utilisation d’internet. Les sites de rencontre sont notamment très racoleurs. Un accroc de taille dans le principe de neutralité commerciale du service public d’éducation…

Techniquement, ces sites communautaires énormes génèrent un trafic considérable et consomment une grande partie de la bande passante disponible sur internet. Dans les établissements scolaires, le problème est crucial : les lycées partagent généralement une liaison à 2 Mb/s entre plusieurs centaines de machines. Si le « tuyau » est occupé par un flux vidéo continu (bien souvent augmenté de multiples flux publicitaires), il ne reste plus de place pour les usages pédagogiques « légitimes ». Faire un usage raisonné de ces ressources signifie donc entre autres éviter de laisser 15 postes consulter simultanément sur une de ces plateformes des vidéos en streaming (diffusion en flux continu).

Certains établissements scolaires revendiquent toutefois un accès libre aux plateformes de partage vidéo. Le chef d’établissement peut exercer son autonomie et demander à la Division de l’Informatique et des Réseaux (DIR) le déblocage d’un ou plusieurs services sur son serveur de filtrage. Il peut également revenir sur cette décision et demander le retour au blocage antérieur. Cette décision peut être transmise à la DIR par une personne mandatée par le chef d’établissement.

Certains établissements optent pour une politique permettant à certaines machines de l’établissement de bénéficier d’un « proxy » différent du filtrage protégeant les mineurs, afin de permettre à des utilisateurs adultes et avertis, (par exemple de certaines sections post-bac), des usages d’internet plus avancés.

Le statut juridique des écoles n’autorise pas le directeur à demander le déblocage d’un service sur le proxy académique. La solution quand un filtrage est considéré excessif passe donc par une négociation entre les demandeurs et la DIR, arbitrée par les services pédagogiques TICE de l’Inspection Académique et de la MATICE. Il faut garder à l’esprit que, à l’inverse des proxy des établissements, toute modification du paramétrage du proxy des écoles affecte l’ensemble des écoles de l’académie.


Textes, photos, musiques

Photo par Ecstaticist - cc/licenses/by-nc-sa

Pour les mêmes raisons, les photothèques en ligne restent d’un usage difficile. A l’école primaire, l’usage très répandu de Google Images relève parfois du funambulisme : même si la page dont est issue l’image est filtrée par le proxy académique, la vignette (taille réduite) de l’image sera affichée dans la page de résultats du moteur de recherche.
Pour l’instant les responsables d’établissements semblent considérer que les bénéfices de la banque d’images de Google restent supérieurs aux inconvénients. S’agissant de jeunes enfants, la supervision de l’enseignant est indispensable.

Même si des enseignants considèrent que « l’hyper-filtrage » stérilise la liberté pédagogique, l’usage de banques de ressources pédagogiques contrôlées (libres de droits, ou accessibles via un abonnement) est une bonne solution. Des projets collaboratifs existent où les utilisateurs mutualisent leurs productions. Citons pour les écoles l’ABCD du net qui fournit un corpus documentaire suffisant dans la plupart des cas. De nombreux sites proposent des ressources validées.

Le contenu illégal est aisément défini par la loi : cybercriminalité, pornographie, pédophilie, incitation à la haine raciale, au crime, apologie du suicide, de certaines idéologies révisionnistes, antisémites, racistes... Le contenu préjudiciable ou offensant a des contours moins nets : images et messages violents, comportements dégradants ou humiliants...

Certes, il est déplaisant de voir son site de jeux mathématiques qualifié de « non pédagogique » par le filtre de Sonic Wall, mais il faut savoir que la machine fonctionne entre autres par exclusion de mots clés. Ainsi les sites comportant le mot JEUX ou GAME dans l’URL (adresse), étaient bloqués par défaut dans le filtre jusqu’en juin 2009. En observant les sites les plus consultés dans un établissement se plaignant d’un débit insuffisant, on constatait en effet parfois que sans ce filtrage les sites de jeux en ligne étaient parmi les plus utilisés. L’exclusion des sites de jeu pouvait occasionner des effets très positifs : meilleure disponibilité de l’élève pour des tâches scolaires, et de la bande passante pour des usages administratifs ou éducatifs.
La chaîne d’alerte fonctionne pour les cas limites. Elle doit être connue de tous. Grâce à elle un site nazi proposant un dossier pour militer à l’école, a été repéré sur la toile et signalé par un documentaliste. La DIR a bloqué immédiatement l’accès au site incriminé.


Blogs

Photo par Manu gomi - cc/licenses/by-nc

La plupart des hébergements de blogs sont inaccessibles via les dispositifs de filtrage des établissements, leur domaine faisant l’objet d’une inscription sur la liste noire. Ainsi Skyblog, plateforme très prisée des adolescents, est-elle inaccessible depuis les écoles et établissements de l’académie.
Si un établissement demandait le déblocage d’un blog, il était jusqu’à présent informé que l’ensemble des blogs du domaine deviendrait accessible depuis l’établissement. Or, le blog d’un navigateur faisant une relation de sa transat à la voile, hébergé sur over-blog, ouvre vers d’autres contenus indésirables du même hébergeur.
Les proviseurs ont été informés par un courrier du 12 juin 2009 d’une plus grande souplesse, un site pouvant, sous réserve d’examen par des personnes averties, être débloqué sans que le domaine entier ne le soit.
Pour les écoles, il n’est pas envisageable de débloquer à la demande un domaine de blog : toutes les écoles hériteraient de la modification d’une seule, sans en être informées.
Pour éviter la dispersion sur des hébergements « exotiques », la solution d’hébergement académique de sites d’écoles ou d’établissements sous SPIP, et de blogs pédagogiques sous WordPress est une préconisation forte. Publier un site pédagogique en dehors du domaine académique expose le responsable de publication sans protection juridique.

Concernant les photos de mineurs, « particulièrement délicates à traiter » Youtube conseille « la prudence ». L’institution de l’éducation nationale, elle, déconseille la publication de toute photo d’élèves, et impose à tout le moins de recueillir l’accord explicite des responsables légaux pour une publication sur un site ou un blog pédagogique hébergé ou non sur la plate-forme académique.

Messagerie

Photo par Ecstaticist - cc/licenses/by-nc-sa

Le filtrage par défaut de sites de messagerie instantanée MSN est souhaité par certains chefs d’établissement et de familles : son usage intensif distrait les élèves, la présence de nombreuses sollicitations commerciales est contraire à l’éthique de l’Éducation Nationale, et la grande popularité de cette pratique auprès des jeunes en fait un outil de choix pour les rabatteurs de sites pornographiques et de sites de rencontre. De plus les services associés en font un outil gourmand en bande passante.

Certains chefs d’établissement qui auraient souhaité interdire leur accès par filtrage se sont heurtés à un inconvénient imprévu : élèves et enseignants utilisaient pour des usages pédagogiques ou administratifs le webmail associé à ces sites (Hotmail), au lieu d’utiliser le webmail académique Mélouvert ou le webmail préconisé pour les élèves education.laposte.net. Il est souhaitable de différencier les boites aux lettres selon les usages, ce qui a aussi le mérite de clarifier le cadre dans lequel on se situe lors des échanges par mail.