Théâtre, multimédia et numérique publié le 05/04/2020

Un scénario de formation adaptable en classe

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Adossée au spectacle Le Père, de Julien Gosselin, programmé le 11 février 2020 à la Scène nationale Le Moulin du Roc de Niort, cette formation de deux jours a consisté à interroger la place du multimédia et du numérique dans les créations théâtrales contemporaines.
Comment dramaturges, comédiens, metteurs en scène, scénographes se confrontent aux nouvelles technologies ? Donnent-elles lieu à une écriture théâtrale spécifique ? En quoi bouleversent-elles notre réception / perception d’un spectacle ?
Ces trois questions ont constitué le fil rouge de ces deux journées dont le déroulé est transférable en classe (3ème/lycées) :

  • Théâtre, multimédia et numérique : perceptions et représentations
  • Comment les nouvelles technologies infiltrent les mises en scène : études de cas.
  • "Le père" - mise en scène de Julien Gosselin : attentes et réceptions du spectacle ; rencontre avec l’équipe artistique et le comédien Laurent Sauvage
  • Comment les nouvelles technologies infiltrent l’écriture même des textes dramatiques : études d’extraits.
  • Ateliers de pratique : mettre en scène une petite forme avec pour contrainte l’intégration de nouvelles technologies

Théâtre, multimédia et numérique : partager ses perceptions et représentations

 Ce premier temps de travail a permis de se mettre d’accord sur ce qu’on pouvait entendre par multimédia et numérique au théâtre. La définition suivante a fait consensus : il s’agit de processus techniques et/ou numériques (informatique, logiciel, son, lumière) ayant pour objectif de faire partie de la mise en scène d’une pièce en tant médium artistique. Ils sont donc perçus comme des moyens de création scénographique, comme l’expression d’une recherche artistique.

 A partir de leur expérience de spectateur, les participants ont ensuite partagé un même sentiment, celui d’assister depuis ces dernières années, à un déferlement des écrans sur scène, à une amplification sonore, un déploiement d’effets spéciaux faisant évoluer le théâtre vers un théâtre immersif, un théâtre augmenté tourné vers la performance.

 S’il ne fait aucun doute que les nouvelles technologies servent la régie et contribuent efficacement à l’illusion théâtrale, qu’elles permettent l’hybridation féconde des arts et des esthétiques, pour beaucoup une présence trop visible sur scène ou des usages démultipliés brouillent les repères du spectateur. Ainsi la projection d’images fixes ou animées sur un ou plusieurs écrans simultanément au jeu du comédien, fragmente le regard allant jusqu’à créer parfois un effet de zapping.

 Pour certains, c’est la notion même de spectacle vivant que l’usage des nouvelles technologies vient remettre en cause. Le "virtuel" concurrent de la "réalité" semble amoindrir la présence physique de l’acteur et la relation organique qu’il tisse avec le spectateur.

 Enfin d’autres regrettent que l’omniprésence de la machine sur scène ne s’accompagne pas davantage d’une réflexion critique sur les usages contemporains des nouvelles technologies.

 Ni exaltation, ni refus donc dans ces échanges mais plutôt de la curiosité pour ces nouveaux usages ; une curiosité néanmoins teintée de prudence : les nouvelles technologies doivent être au service du spectacle vivant et dramaturgiquement fondées.

Comment les nouvelles technologies infiltrent les mises en scène : études de cas

Les extraits des spectacles suivantes, traversés principalement par l’image filmique et le son, ont servi de supports à ces études de cas :

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Mon coeurde Pauline Bureau
 Vanishing Point de Marc Lainé
 Les Particules élémentaires de Julien Gosselin
 Les Damnés de Ivo Van Hove
 Festen de Cyril Teste
 Blockbusterdu Collectif Mensuel
 24/7du collectif Invivo

Focus sur les projections d’images : dispositifs et fonctions

  • Types d’écrans : un grand écran en fond de scène ("Les Particules élémentaires", "Les Damnés"), un écran géant placé au dessus du décor qui devient une partie du décor ("Festen"), plusieurs écrans dont certains peuvent être escamotés ou déplacés ("Vanishing point").
  • Des images de décors : juxtaposés aux décors réels, les décors virtuels facilitent les changements, les enchaînements sans rompre le rythme de l’action. Si leur fonction est de figurer et localiser les espaces (les tentures et le papier peint d’un salon dans "Mon coeur", les paysages nord américains dans "Vanishing point"), celle-ci peut avoir une valeur symbolique et poétique ("Mon coeur").
  • Des images d’archives (photographies, extraits de films, de reportages) : le document historique permet de contextualiser les événements mais aussi de renforcer le dramatique de la scène lorsqu’il vient notamment en contre point à ce qui se joue sur scène. ("Les Damnés" : images d’archives de l’incendie du Reichstag, du camp de concentration de Dachau)
  • Des textes : correspondant souvent à des didascalies généalogiques, locatives ou temporelles, ils ont une fonction informative. Fragments de l’oeuvre jouée, ils apparaissent comme le prolongement de la page imprimée et rappelle l’origine textuelle du spectacle (Julien Gosselin).
  • Des images filmées en direct
     Caméras : des caméras disposées sur trépied en périphérie de l’espace scénique ("Vanishing point", "Mon coeur", "Les particules élémentaires") ; des caméras numériques, portatives utilisées par les acteurs ou par des vidéastes sur scène qui suivent les acteurs de plus ou moins près ("Les Damnés", "Festen")
     Elargissement du cadre : en orientant le regard des spectateurs sur un personnage qui ne semble pas impliqué directement dans l’action, elles rendent plus visibles les actions en arrière plan ; elles peuvent montrer le hors champ : coulisses, extérieur du théâtre ("Les Damnés") ou encore l’arrière du décor ("Festen").
     Plans en plongée : ils ont une fonction symbolique et traduisent le plus souvent un rapport de force, de domination, d’enfermement ("Les Damnés")
     Champs contre-champs  : ils donnent accès simultanément au comédien qui porte le discours et aux réactions physiques, physiologiques, épidermiques de celui qui l’écoute.
     Gros plans ou très gros plans : sur un comédien, ils permettent d’accéder aux émotions et à l’intériorité des personnages, renforçant l’intimité avec le spectateur ; leur fonction n’est pas figurative mais expressive ; sur des objets, ils permettent d’enrichir le sens d’une scène en train de se jouer (le gros plan sur la vaisselle pendant la scène de querelle causée par l’incendie du Reichstag dans "les Damnés")

Projections d’images sur scène : bref historique

  • Avec l’invention des lanternes magiques XVII°s., les effets d’optiques s’invitent progressivement au théâtre. Leur usage se vulgarise au XIX°s. avec l’invention du Fantôme de Pepper, dispositif crée par Henry Dircks et perfectionné par John Henry Pepper, consistant à faire apparaître et disparaitre des êtres surnaturels sur scène.
La terre cabrée -Vsevolod Meyerhold
  • Dans les années vingt, les metteurs en scènes avant-gardistes russes et allemands projettent sur écran des photographies mais aussi des textes reprenant le principe des cartons du cinéma muet.
    C’est le cas de Vsevolod Meyerhold ou encore de Bertold Brecht, tous deux convaincus que le séquencement par les mots favorisent pour le spectateur l’intelligence du processus narratif et dramatique.
Hop là, nous vivons ! E. Piscator
  • A ces procédés, Erwin Piscator ajoute des projections cinématographiques et des hauts parleurs. En 1927, dans sa mise en scène de Hop là, nous vivons ! d’Ernest Toller, il intègre des séquences filmées, projetées sur un écran au milieu de la scène.
  • Dans les années soixante, Josef Svoboda et Jacques Polieri multiplient les écrans mobiles et projettent des images filmées et diffusées en temps réel.
  • C’est dans leur lignée que s’inscrit le travail d’Ivo Van Hove, Julien Gosselin ou encore le collectif MxM et son directeur artistique Cyril Teste. Tel le dogme95, ce collectif est l’auteur d’une charte de création définissant la performance filmique sur scène :
    1. La performance filmique est une forme théâtrale, performatice et cinématographique ;
    2. La performance filmique doit être tournée, montée et réalisée en temps réel sous les yeux du public ;
    3. La musique et le son doivent être mixés en temps réel ;
    4. La performance filmique peut se tourner en décors naturels ou sur un plateau de théâtre, de tournage ;
    5. La performance filmique doit être issue d’un texte théâtral, ou d’une adaptation libre d’un texte théâtral ;
    6. Les images préenregistrées ne doivent pas dépasser 5 minutes et sont uniquement utilisées pour des raisons pratiques à la performance filmique ;
    7. Le temps du film correspond au temps du tournage.

"Le Père" d’après "L’Homme incertain" de Stéphanie Chaillou - Mise en scène Julien Gosselin

Le spectacle

Laurent sauvage dans Le Père - Mise en scène J. Gosselin
Le Père, Julien Gosselin (Video Youtube)

Ce seul en scène commence dans le noir le plus total. Seule la voix sonorisée de Laurent sauvage, accompagnée d’une bande musicale d’abord métallique puis mélodique, emplit l’espace. Alors que la silhouette de l’acteur apparait progressivement, sa parole s’éteint laissant place au texte vidéo-projeté ; un texte dramatisé, surligné par les infra basses d’une musique extrêmement forte. C’est ensuite dans un silence profond que la voix du comédien émerge à nouveau sans amplification ni environnement sonore.

Attentes et réception : cercle de chuchotements et notes de travail

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Les impressions des spectateurs correspondent bien à l’effet recherché par Julien Gosselin :

"En tant que spectateur, je n’aime pas qu’on m’offre un simple cadeau à déballer. J’aime la difficulté, que ma place soit mise en jeu et qu’il y ait quelque chose à endurer ; non seulement sur le plan intellectuel mais sur le plan physique. Par exemple, j’aimerais retrouver plus souvent au théâtre la dimension d’un concert ; l’aspect extrêmement puissant et direct de ce qui est livré sur la scène et l’engagement réclamé pour le recevoir : la position verticale, le volume, la promiscuité, la charge et la décharge énergétiques. En tant que spectateur, je cherche cette force et j’aime que le public la ressente." ( Entretien - Odeon Théâtre de l’Europe - 2016)

Comment les nouvelles technologies infiltrent l’écriture même des textes dramatiques

Si les auteurs s’emparent des nouvelles technologies et du numérique comme sujet, ils en empruntent aussi les spécificités, les codes et la langue.

Corpus proposé à l’étude

  • Ctrl-X – Pauline Peyrade

« Une fenêtre s’ouvre. Une vidéo. Une pub. Un flash-info. Le téléphone sonne. Adèle s’inquiète. « Tu as pris ton médoc ? » Laurent s’impatiente. « Tu veux que je remonte ? ». Une fenêtre s’ouvre. Des photos de Pierre. Des interviews de Pierre. Des souvenirs de Pierre. Une fenêtre s’ouvre. Sur l’amour d’Ida. Sur sa mémoire. Sur ses pulsions. Sur ses obsessions. Sur un passé enfermé dans le présent d’un écran d’ordinateur. Le temps d’une nuit. Le temps d’une crise, ou peut-être d’une évasion. » (Editions Les Solitaires Intempestifs)

 Présentation du texte par l’autrice
 Le texte et les difficultés d’écriture par l’autrice
 Mise en scène de Cyril Teste :teaser

  • Fake Claudine Galéa

« Deux jeunes filles, encore au lycée, sont les « meilleures amies ». L’une ne pense qu’aux garçons, l’autre non. La première tombe amoureuse d’un musicien anglais avec lequel elle communique sur les réseaux sociaux, la seconde la conseille. Elles se parlent, elles soliloquent, elles rêvent, elles se piègent dans leurs propres sentiments, leurs aspirations, leurs propres troubles. » ( Editions Espaces 34)
 Lire un extrait

  • Cross, chant des collèges – Julie Rosselo-Rochet

« Un soir, dans l’intimité de sa chambre, Blake, douze ans et demi, crée son profil sur le réseau social au milliard d’utilisateurs. Le déferlement de violence verbale qui s’ensuit est immédiat. La jeune fille éteint l’ordinateur. Mais le cyber-harcèlement est sorti de l’écran comme il y était entré – par effraction dans la vie de Blake. Il envahit son quotidien au collège et perturbe ses nuits. » (Editions Théâtrales)
 Lire un extrait

  • Michelle doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz – Sylvain Levey

« Qui est Michelle ? Ou plutôt   : qui est uneviedechat ? Une adolescente insouciante ou mal élevée ? (…) A-t-elle accompli son devoir de mémoire en prenant ce selfie ? A-t-elle sali le passé en posant devant les vestiges de la Shoah ? Les avis divergent sur les réseaux sociaux, les commentaires fusent, et la Toile se referme sur Michelle, prisonnière virtuelle d’un harcèlement numérique cruel. L’écran devient le point de confluence entre le réel et l’image, et redessine nos espaces de parole et de liberté. » (Editions théâtrales jeunesse)
 Lire un extrait
 Interview de l’auteur

Questions soulevées

L’introduction de la virtualité renouvelle les espaces (internet, les réseaux sociaux) et les personnages (des pseudos, des avatars). La multiplicité des voix, leur dispersion et/ou leur simultanéité renforcent la polyphonie et la choralité. Se pose alors la question de leur représentation :
 Comment traiter espaces réels/espaces virtuels et découper l’espace scénique ?
 Comment représenter un personnage caché derrière une machine et un pseudo ou encore un avatar ?
 Quelle place réserver aux écrans d’ordinateur, de smartphone, aux textes et images qui y circulent ?
 Comment faire entendre les sons générés par les objets connectés cités dans le texte et qui parfois soulignent ou provoquent les apparitions virtuelles ou réelles des personnages ?

Des ateliers de mise en scène ont permis d’apporter quelques réponses.

Ateliers de pratique

Réalisés dans les conditions ordinaires d’une classe avec les moyens techniques disponibles dans un établissement scolaire ( tablettes, téléphones portables, appareils photos, vidéo-projecteurs ), ils ont consisté à mettre en scène un extrait d’une pièce de théâtre avec pour contrainte l’intégration (au choix) :
 de sons (musique, bruitages, voix off)
 d’images filmées en direct
 d’images préenregistrées (fixes ou mobiles)
 de captures d’écran
 d’écrits projetés
Le corpus et la démarche sont transférables en classe.

ateliers_-_restitution (PDF de 10.9 Mo)

Partenaires et intervenants

 La Scène nationale Le Moulin du Roc : Hélène Coiffard, médiatrice culturelle et David Poupard, vidéaste
 Le théâtre de l’Esquif  : Hélène Arnaud, metteuse en scène

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Sommaire de l'article

Théâtre, multimédia et numérique : partager ses perceptions et représentations
Comment les nouvelles technologies infiltrent les mises en scène : études de cas
"Le Père" d’après "L’Homme incertain" de Stéphanie Chaillou - Mise en scène Julien Gosselin Le spectacle Le Père, Julien Gosselin (Video Youtube) Ce seul en scène commence dans le noir le plus total. Seule la voix sonorisée de Laurent sauvage, accompagnée d'une bande musicale d'abord métallique puis mélodique, emplit l'espace. Alors que la silhouette de l'acteur apparait progressivement, sa parole s'éteint laissant place au texte vidéo-projeté ; un texte dramatisé, surligné par les infra basses d'une musique extrêmement forte. C'est ensuite dans un silence profond que la voix du comédien émerge à nouveau sans amplification ni environnement sonore. Attentes et réception : cercle de chuchotements et notes de travail le_pere-_attentes_et_reception_ (PDF de 6.8 Mo) Les impressions des spectateurs correspondent bien à l'effet recherché par Julien Gosselin : "En tant que spectateur, je n’aime pas qu’on m’offre un simple cadeau à déballer. J’aime la difficulté, que ma place soit mise en jeu et qu’il y ait quelque chose à endurer ; non seulement sur le plan intellectuel mais sur le plan physique. Par exemple, j’aimerais retrouver plus souvent au théâtre la dimension d’un concert ; l’aspect extrêmement puissant et direct de ce qui est livré sur la scène et l’engagement réclamé pour le recevoir : la position verticale, le volume, la promiscuité, la charge et la décharge énergétiques. En tant que spectateur, je cherche cette force et j’aime que le public la ressente." ( Entretien - Odeon Théâtre de l'Europe - 2016) Comment les nouvelles technologies infiltrent l’écriture même des textes dramatiques
Ateliers de pratique
Partenaires et intervenants

Auteur

 Dominique Chassain

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