trace d'écart (palindrome) publié le 02/07/2009  - mis à jour le 03/07/2009

L'intervention de Bernard Decourchelle ARt'RESEAU 2009

Bernard Decourchelle nous a fait le cadeau de la transcription écrite de son intervention orale à la table ronde n°1 d’ARt’RESEAU 2009.

Que l’on ne s’y trompe pas : en cette date symbolique des vacances, qui prend un relief tout particulier pour lui, comme pour d’autres collègues qui seront en vacance(s) le jour de la rentrée des classes 2009, il nous livre la quintessence de son expérience de professeur dans un texte d’importance.
Bonne lecture.

(texte téléchargeable en fin d’article)

Sylvie Lay IA-IPR

Bernard Decourchelle -Intervention orale- Table Ronde N°1
4 juin 2009. ARt’RESEAU 2009 – TAP de Poitiers.

Question principale abordée : « Que me semble-t-il essentiel de privilégier dans une transmission, à partir de ma pratique artistique »

Ce seront des apriori personnels, incomplets, qui effleureront mais ne défloreront pas les questions plus précises de la Table Ronde N°2.

Nous sommes ici de nombreux enseignants en Arts Plastiques ; Plastiques … Enseigner, travailler les questions relatives au phénomène plastique, est d’un abord plus simple et fréquent ; la dimension de l’artistique est plus complexe et s’aborde plus rarement aussi : tous nos cours n’ont pas à charge de faire advenir l’artistique à chaque heure ou à chaque coup de feutre.

Je serais donc ici, aujourd’hui, au nom d’une triple appartenance : professeur en collège RAR, membre du groupe Didactique et artiste... ? Artiste ? J’ai à ce titre l’expérience d’une modeste pratique artistique ; je préfère parler à partir de ce qui nous réunit davantage j’espère : notre propre familiarité avec la création artistique et qu’en faire dans notre pédagogie.

Il n’est pas nécessaire d’être artiste, mais chacun sent bien que s’il veut approfondir cette part de la nature artistique qui se pose ici et dans nos cours – il lui faut se construire une approche intime avec les processus en jeu dans la création artistique, pour ne pas se contenter simplement de les repérer et de les reléguer dans les territoires de « l’inconnu », « l’indicible » et donc -pourquoi pas- du non-enseignable.
Je crois au contraire qu’il y a moyen de pointer du doigt ce qui fait -parfois- la nature artistique d’un geste d’élève, ou tout au moins ce que l’on souhaiterait qu’il advienne.

C’est cette familiarité avec la démarche de création artistique qui permet d’être attentif au moment ou au vouloir de son apparition chez l’élève.

Il n’est évidemment pas question de « faire faire de l’artistique », ou du « à la manière de » de ses artistes favoris ou de ma propre pratique.

Personnellement, j’utilise des matériaux et des outils peu surprenants pour mes élèves et je ne vois pas ce que leur apporterait la transposition de ma pratique si elle se bornait à des procédés, des trucs, ou des tours de main …

Reprenons la présence de l’artistique dans les programmes – tout au moins quelques passages :


La pratique de l’élève

Cheminement :

Si, comme toute autre discipline scolaire, l’enseignement des arts plastiques repose sur du connu, sur un corpus de connaissances objectives et de savoir-faire transmissibles, il ne se limite pas à cet ensemble fini. Il repose aussi sur une part d’inconnu, sur l’expérience artistique qui se vit1. Ce qui s’enseigne ce sont les savoir-faire et les connaissances que mobilise cette expérience. L’enseignement des arts plastiques procure aux élèves les conditions de cette expérience.

Celle-ci se concrétise dans une activité d’exploration des moyens plastiques et constitue les bases d’une pratique artistique. Cette pratique sollicite la part de subjectivité, de singularité, d’expérience personnelle de chaque élève1, pour la mettre à l’épreuve de contraintes matérielles communes, d’opérations à faire, de notions à mettre en jeu, toutes garantes d’une construction, d’un commencement. Le cheminement de chaque élève s’effectue ainsi sur un territoire de repères communs à tous. Dans cette objectivation, les élèves acquièrent maîtrise et savoir-faire en même temps que, très concrètement, se forme leur regard, c’est à dire leur faculté d’observer le monde, de le mettre à distance, de le représenter. La pratique s’inscrit donc dans une activité mais ne se confond pas avec cette dernière. Entre autre, la créativité de l’élève est un ressort qui contribue à l’exercice d’une pratique artistique1. Elle permet le cheminement qui donne loisir à l’élève de tâtonner, d’esquisser, de bifurquer, de réfléchir, de se documenter, de revenir sur ses pas, de découvrir des voies inattendues, de faire des choix.

La pratique artistique a toujours pour horizon d’affirmer un parti pris dont l’élève assume les choix formels et expressifs en regard d’une question posée dans le cadre d’une situation d’enseignement.
Programmes de collège du 28 aout 2008 »

Cette volonté de prise en compte de l’exercice d’une pratique abordant l’artistique est une volonté singulière -elle aussi- dans notre système d’enseignement national et a besoin de moyens singuliers.

Comment renvoyer, provoquer, aider l’élève à adopter ce regard distancié, auto-réflexif sur sa propre pratique, sans les conditions concrètes du temps de dialogue à partager tour à tour avec chaque élève de toute la classe ?
Car si on parle de subjectivité, on parle de sujet pensant. Si la socialisation – verbalisation de ces subjectivités est un moment fécond de nos cours, encore faut-il aussi un temps individuel – et duel quand le prof s’en mêle- pour faire émerger chez chaque sujet-élève la part singulière de son geste plastique.

Ces remarques n’avaient pas pour but d’ouvrir un énième débat sur les Moyens, mais de ne pas oublier que la spécificité d’un enseignement réellement tourné vers l’artistique passe aussi par une singularité des postures de l’enseignant, de l’élève, du cadre des cours et de leurs moyens.

Revenons à notre question charnière : Qu’est-ce qui me semble alors prioritaire de faire émerger de ma connaissance des processus de nature artistique ?

Si l’artistique est ce qui modifie notre rapport au monde -et à l’art- en dehors des voies de la stricte rationalité, il présente obligatoirement un écart par rapport au connu, au prévisible, au banal.

À ce titre j’ai fabriqué ce petit carton qui sera un peu l’étendard de mes propos sur lequel figure le palindrome


TRACE D’ECART

Ce sont les moments et les conditions de ces écarts dont j’aimerai parler un peu …

De mon intimité avec le milieu de la création artistique, j’aimerai bien d’abord en tirer ce qui fera apparaître en germe chez l’élève, des attitudes plus que des productions -œuvres- preuves savamment accomplies.

  • Par exemple : acquérir une capacité d’autonomie, c’est-à-dire se fixer à soi-même ses propres règles de recherche, d’en connaître les limites, leur souplesse et leurs conditions de déplacement, et d’évaluer aussi les contraintes de l’environnement de son travail.
  • Insister sur le phénomène d’abstraction : non pas tant comme modèle esthétique et historique, mais comme processus mental, comme démarche..
    • Faut-il que « ça » représente, pour que cela « me » dise ?
      Car la démarche d’abstraction formelle en Arts Plastiques appelle aussi une autre acception de l’autonomie = celle de se dégager de la mimésis obligatoire, de la communication transparente et univoque de ses représentations.
    • Donc admettre l’écart par rapport aux formes et représentations attendues.
    • Donc aborder l’acte gratuit, c’est à dire sans autre but que d’affirmer l’objet artistique pour lui-même, pour sa charge de plaisir ou de désir, et les règles internes qui l’ont fondé.
      Pas plus d’enjeux par rapport au réel dans une recherche artistique que dans un jonglage de cirque ou dans la composition d’une mélodie ou le pacifique combatd’une partie d’échec … mais qui n’existent que parce que l’on se donne des règles, des nécessités internes…
      Pas d’autres enjeux que le jeu lui-même.
  • Apprendre à copier sur son voisin !
    (pour faire sa propre image …)

Ainsi développer les qualités de négociation entre complicité et rivalité, copie et originalité (avec quel écart la copie devient-elle (l’) originale ? ..), faire avec et contre.
On pensera facilement à Picasso et Braque , Monet et Renoir au coude à coude devant la même guinguette de la Grenouillère, au même thème se répliquant de Purcell à Lully via Bach ou Vivaldi, ou à ces chefs cuisiniers se volant leurs secrets en les dégustant ensemble autour de la même table.

  • Démythifier -par la pratique toujours- la réussite au premier coup : « le tableau de maître », comme on dirait un coup-de-maître en escrime : unique, fatal, définitif, sans hésitation préalable.
    • Donc gérer la recherche artistique comme un travail brouillonnant-bouillonnant et non- tendu vers une image modèle idéale unique.
      Souvent je fais remarquer à mes élèves
      « Si Picasso avait jeté ses études comme vous vos brouillons de maths ! ... » ...
    • Donc : brouiller la distinction entre recherches et œuvre.
    • Afficher la pluralité et la validité des recherches -solutions à un même problème s’oppose à l’attente dominante de type arithmétique qu’ils ont en tête :
      une question = une seule réponse exacte.
      ...unique et exacte...
  • L’attitude heuristique. (c’est à dire les attitudes adaptées face aux situations de recherche.)
    • Admettre la « sérendipité » - à savoir : trouver ce que l’on ne cherchait pas quand on ne trouvait pas ce que l’on cherchait.
    • On peut avoir pensé un projet et ensuite chercher les bons moyens de le réaliser, mais on peut accepter de donner -redonner- du sens à postériori : à ce qui nous a échappé ou à un hasard, rebaptiser le résultat à l’issue de ce moment de réflexion rétrospective dont je parlai plus haut.

Cette fameuse part d’inconnu-révélé, la singularité d’une production qui se construit, pose aussi le problème du « nouveau » en art. Le nouveau est-il une condition de la création artistique ? Je n’ouvre pas ici la question générale.
En tous cas, au niveau de notre enseignement, il est souhaitable de pointer ce en quoi toute production même la plus simpliste ou stéréotypée, propose l’émergence de nouveau, de surprenant ou de singulier, à l’échelle de l’élève lui-même dans son parcours -à l’échelle de son entourage ou de la classe- et peut-être un jour, plus tard, au niveau de l’art …..

Là aussi -à la propre échelle de l’élève il faut lui montrer la trace d’un écart entre la forme attendue et la forme adoptée.

  • Pour finir … une envie … un espoir =
    Que tous ces points de contacts entre l’élève, ses pratiques, et des démarches artistiques, dépassent le domaine des arts plastiques et que tout ce qui a pu se construire dans nos cours et ateliers puisse avoir une résonance dans les autres domaines de l’imaginaire et de la vie citoyenne.
    • Se donner des libertés, dans un respect social, mais sans avoir à en rendre compte.
    • Admettre par-là la part de liberté des autres face à l’incompréhensible de leur expression.
    • Savoir se situer devant cet incompréhensible. Combien de fois notre inculture n’a-t-elle pas relégué l’Étrangeté de l’autre dans l’injure ou l’excuse de la Folie...
    • Admettre ou refuser les formes nouvelles mais pas sans questionnement critique sur le réel des choses : oui au « j’aime-j’aime pas » mais comme conclusion d’un jugement construit et où « je » n’est pas épargné …

 En bref, pour notre élève : être capable d’inventer ….de « s’inventer » lui-même.

 Et aussi, tant que j’y pense, capable de poser la question :

Dans le patinage, où est l’artistique ?
Pourquoi y-a-t-il un flou mais pas de netteté artistique ?

Écrit dans un état de conscience modifiée par les lectures de Danto, Kandinsky , Mondrian , Didier Anzieu , Joelle Gontier …

Bernard Decourchelle - ARt’RESEAU 2009 (PDF de 28.5 ko)

Intervention orale - Table Ronde N°1
4 juin 2009 – TAP de Poitiers.

(1) souligné par moi