Le style dans l'art publié le 16/06/2009  - mis à jour le 18/06/2009

Monique Varieras, psychologue, psychanalyste : l'intervention à ARt'RESEAU 2009

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C’est donc sur un palimpseste d’écriture et de ratage, que la pointe du style se confronte à l’art du geste. La singularité du trait se fait sur un forçage dans le réel, et le signal de ce réel est l’angoisse « une déchirure dans l’écran ». Lacan donne à l’angoisse un statut dynamique, en fait un moment logique et structurant, inséparable de la constitution du désir, un affect majeur. Le style serait le produit de la nécessité de s’extraire d’un ratage fondamental sur fond de vide, et signe, dans l’inédit de la création la traversée de l’angoisse.

Du trou, l’artiste puise ses inventions, comme le névrosé son symptôme, le psychotique ses trouvailles. Celui-ci a d’ailleurs bien souvent recours à l’art comme tentative de se soustraire d’un lieu à la fois intime et étranger. Dans ce sens, l’art, comme le réel, n’est pas tranquille.
Tout art est défectueux dira Lacan. Andy Warhol dit quelque part « mes peintures ne correspondent jamais à ce que j’avais prévu, mais je ne suis jamais surpris. »

Car là où vient l’inspiration, quel que soit l’art qui s’impose, surgit l’objet marqué de sa perte, et c’est la trace qu’engage le geste du sujet créateur. La fragilité de cet appui improbable qu’est la trace donne aux œuvres leur caractère provisoire.

C’est alors à une exposition d’Anish Kapoor au CAPC de Bordeaux que je pense, à mon intérêt affecté pour son travail, et ses installations souvent énigmatiques. L’affection mobilise les sentiments, l’émotion, voire la maladie, comme nous sommes affectés d’un style.
Il joue sur les oppositions intérieur-extérieur, visible-invisible, matériel-immatériel. Pour Kapoor comme pour les minimalistes, la présence du spectateur est primordiale. Le spectateur transforme l’œuvre. Kapoor précise : « L’art puise son essence dans notre culture matérialiste. Les œuvres qui prennent cette culture pour sujet auront, d’après moi, une très courte existence. J’éprouve le besoin de m’adresser à l’humanité à un niveau plus profond. Mon travail s’oriente vers le « non-objet. » Il revendique que son objectif est la réalisation de sculptures importées « d’un autre monde ». Dans son traitement du réel, il traduit ce qui fait signe dans la culture : l’éphémère, le non-objet, ce qu’on ne voit pas et qui tient l’ensemble.

L’absence dans l’œuvre convoque le spectateur, ou le visiteur, et ce qu’on ne voit pas est le cachet de l’artiste. Lors d’une interview parue dans Télérama, Enki Bilal dit : « J’aime les ellipses et ce qu’on ne voit pas entre deux images, cet espace où le lecteur se fabrique sa propre histoire. »

Jean-Luc Godard dit de Louise Bourgeois qu’« elle est de ces artistes qui font tenir les pages. »

Reste à savoir ce qui s’enseigne ? Comment penser une pédagogie qui contient en elle-même ce qui ne se transmet pas ? Qu’en est-il de la position du maître ? Comment, dans la contrainte de l’enseignement, le maître peut-il produire un écart pour que le sujet passe des identifications à la singularisation ? Si la pédagogie ne peut rien sur l’indéfinissable qu’est le style, elle consisterait alors à assurer le respect et l’attention à son expression. Peut-être le pédagogue serait alors celui qui enseigne la technique, conduit le tour de main et provoque la rencontre.