Fermé pour cause d'inventaire / le statut des images publié le 05/02/2021

Une exposition d'Alexia Atmouni à l'Espace d'arts du lycée Valin /un workshop des étudiants de la CPES-CAAP avec l'artiste

Entre ses thaumatropes accrochés à la manière d’attrapes-rêves (sur lesquels elle fait porter à Poutine la cagoule rose des Pussy Riot), ses dessins méditatifs réalisés à partir de protocoles rigoureux ou encore ses innombrables carnets allant de simples phrases à des dessins de personnes “se dorant la pilule à la plage”, Alexia Atmouni est certainement une artiste aux multiples facettes. Pour autant, ses travaux, qui au premier abord semblent différents, se rejoignent finalement et questionnent le statut et la dimension temporelle des images.

En 2009, elle commence un travail de récolte. Elle accumule petit à petit des magazines de presse people dont elle sélectionne et récupère des images de célébrités qu’elle aime détacher de leur contexte. Minutieuse, Alexia Atmouni porte un grand intérêt au détail du découpage. Une fois cette masse accumulée, vient alors le travail où, par un procédé de collage, elle réalise une composition globale qui prend l’apparence d’une foule, créant ainsi des liens entre ces personnages plus ou moins anonymes, les articulant sous forme d’histoires spontanées dont certaines peuvent avoir une résonance avec l’actualité. Adepte de l’éphémère, ses agencements (punaisés ou collés) sont voués à disparaître à l’issue de ses expositions.

Alexia Atmouni "fermé pour cause d'inventaire" détail, 2021

L’artiste propose dans l’espace d’arts du lycée Valin de La Rochelle, “Fermé pour cause d’inventaire”, une exposition qui s’inscrit dans sa série coupure de presse. Il s’agit d’une installation où elle présente sa collecte à la manière d’une taxonomiste. Les personnages ainsi découpés sont épinglés au mur par un millier de punaises. Ce travail de grande envergure mêle jeux chromatiques, saynètes (souvent humoristiques) et mouvements à travers une confrontation d’images. De ce collage évolutif découle un ensemble bavard qui interpelle l’imaginaire collectif et fourmille d’histoires potentielles. A travers une approche participative, son travail dans la galerie déborde également de la surface murale. Elle laisse notamment à disposition des spectateurs un scanner et des découpages afin qu’ils aient la possibilité d’imaginer, à leurs tours, des histoires instantanées. En effet, elle aime particulièrement cette forme de partage créatif qu’elle nomme « rencontres fortuites », chargées pour la plupart d’une certaine forme d’absurdité.

Alexia Atmouni "fermé pour cause d'inventaire" détail, performance in situ, le jour du vernissage 2021

A travers ce semblant d’innocence, elle nous pousse, en réalité, à nous interroger sur la place, la valeur et la temporalité accordées aux images. En quoi leur profusion nous impacte-t-elle ? Aujourd’hui combien d’entre-elles ne s’évanouissent pas dans le flot d’information dans lequel est noyée notre société ? Qu’est-ce que la mise en scène de cette surabondance nous dit de notre société mondialisée ? Autant de questions soulevées par ces petits bonshommes qui habiteront les murs de la galerie de l’Espace d’Arts du Lycée Valin du 28 janvier au 11 mars 2021.

Texte écrit par les étudiants de la CPES-CAAP du lycée Valin.

Affiche de l'exposition d'Alexia Atmouni, Fermé pour cause d'inventaire

Décontextualiser

Dans le cadre d’une session de workshop les étudiants en art de la CPES CAAP du lycée Valin, leur professeur principal et l’artiste Alexia Atmouni ont réalisé de concert une production articulée autour du statut des images. C’est à la suite de nombreuses discussions que l’ensemble du collectif s’est accordé à employer les codes de représentation des toiles traditionnelles décoratives de Jouy en s’imposant un protocole particulier. Tout en pensant à l’hybridation et l’aspect collectif du travail nous nous sommes adonnés à de multiples décontextualisations, inspirés par les travaux réalisés en amont par Alexia...

lé composé de tous les dessins réalisés par les étudiants de la CPES-CAAP

Le workshop aura donc consisté en le fait de s’approprier par le dessin des photographies de la “presse people ». Une fois redessinés d’une manière stylisée, puis scannés, ces plus de 200 graphismes sont ensuite organisés en plusieurs compositions les réunissant. D’une certaine façon, une nouvelle forme de langage graphique naît de cette extraction des magazines, réagencé à travers les codes de la toile de Jouy. Ces deux registres qui paraissent très différents au premier abord ont finalement beaucoup de points communs. Notamment une certaine fausseté qui découle de ces images. Tout comme la toile de Jouy laisse penser des univers bucoliques et parfaits (la vie des bergers fantasmée par la noblesse), les photographies volées des paparazzis qui dévoilent l’intimité des individus (stars souvent sans noblesse offerts en exemple à un autre public, bien plus élargi) sont elles aussi des caricatures éloignée des réalités vécues. Alors à notre tour, nous sortons ces images de leurs contextes en créant à nouveau d’autres histoires. La fonction distractive de ces images évoque une forme de culture contemporaine de consommation des images. Ces images issues d’une « culture populaire », souvent vides de sens et pourtant omniprésentes, deviennent une toile de fond (des motifs) du monde contemporain, encombrée de pixels. Sept lés imprimés au traceur rassemblent, classés par catégories ou superposés, les dessins réalisés, tous colorisés en rouge. Des éléments de ponctuation, signes et images, textes de légende « journalistiques », symboles quelconques, visages floutés ou pixelisés remplacent les motifs floraux des toiles décoratives. La densité des toiles forme une gradation, un dégradé allant de la plus chargée à la plus clairsemée, certains lés comportant davantage de personnages et motifs en fonction des thèmes plus ou moins récurrents des magazines de la presse people.

Une question de temps

Le transfert opéré par le dessin propose une nouvelle temporalité : celle de la poïétique (du processus de fabrication) de ces images, qui de l’instantané furtif photographique passe à la patience du tracé et transforme celle du regard, qui du fait de ce nouveau temps, de cette forme nouvelle, décale le point de vue. Nous ne regardons plus ces images de la même façon.

web_20210128_120635

L’expérience des étudiants aura été celle d’une analyse dans la pratique artistique. A la manière d’un moteur qu’on démonterait, le langage iconique est étalé, ses signes isolés et proposés au regard afin que chacun « remonte » la machine à son tour de différentes manières, dans différentes fins : narratives, poétiques et/ou critiques.

Texte coécrit avec les étudiants de la CPES-CAAP.