Auto-censures publié le 30/01/2021

Recensement de quelques articles récents en lien avec le champ des questionnements artistiques transversaux : L'artiste et la société

 Philip Guston, the studio, 1969, huile sur toile, 180.3 × 186.1 cm.

Philip Guston, the studio, 1969, huile sur toile, 180.3 × 186.1 cm.

De nombreux exemples plus ou moins récents d’autocensure de la part des institutions artistiques nous amènent à nous questionner sur la réception esthétique des œuvres des artistes contemporains.

Récemment, la Tate Modern à Londres, emboîtant le pas de la National Gallery of Art de Washington, a reporté à 2024 la possibilité d’une rétrospective de l’artiste américain Philip Guston, initialement prévue cette année. Le motif de cette quasi-annulation n’est pas la pandémie mondiale que nous connaissons mais le résultat d’une autre insidieuse viralité. Guston ayant fait des personnages du Ku Klux Klan un motif récurrent de son œuvre, les musées craignent une réaction de protestation (s’exprimant en premier lieu sur les réseaux sociaux) qui prendrait la forme habituelle d’une vague s’embarrassant peu de nuances. La confusion est grande. Philip Guston, n’a jamais fait l’apologie du KKK ou des discriminations raciales. S’il s’est représenté encapuchonné de cet attribut raciste, c’est qu’il interroge sa culpabilité d’homme face au racisme intégré de la société à laquelle il appartient et qu’il nous propose de la regarder.

Pour aller plus loin :

  • Art Forum -article de Steve Locke - Décembre 2020- racontant le malentendu qu’il a lui-même vécu face à l’œuvre de Guston – (en anglais)
  • Beaux Arts Magazine 437 – Novembre 2020 – p20 : Philip Guston privé de rétrospective ! Françoise-Aline Blain et p 46 Vers un art aseptisé ? Nicolas Bourriaud
Dana Schultz, Open Casket, 2016

Dana Schultz, Open Casket, 2016

En 2017, dans un autre contexte, l’artiste Dana Schutz avait déjà suscité de vives émotions lorsqu’à la biennale du Whitney Museum de New York, elle exposait Open Casket, une œuvre représentant la dépouille d’Emmett Till, un adolescent noir tué par un groupe raciste blanc en 1955. Ses détracteurs lui reprochaient alors de procéder à une appropriation culturelle, faisant de la souffrance des noirs américains, l’œuvre d’une artiste blanche, considérant que l’art contemporain est un espace « suprématiste blanc ». Le retrait et la destruction (!!) de l’œuvre avaient alors été demandés par des personnalités (dont des artistes) noires.

 Article du New York Times (en anglais)

Erik Kessels, Destroy my face, 2020, installation au skatepark de Breda lors de BredaPhoto 2020

Erik Kessels, Destroy my face, 2020, installation au skatepark de Breda lors de BredaPhoto 2020

Plus récemment encore, en septembre 2020, l’artiste néerlandais Erik Kessel, dont le travail consiste à interroger les statuts des images dans le flux actuel des médias de diffusion, a vu son installation Destroy my Face, fermée durant le festival d’art photographique BredaPhoto aux Pays-Bas. Là encore, la polémique enfle d’abord sur les réseaux sociaux. Son œuvre, consistait en l’impression gigantesque de portraits générés à partir d’une banque de données (issue des mêmes réseaux sociaux) de 800 images d’hommes et de femmes ayant eu recours à la chirurgie esthétique, sur les sols et structures d’un skate-park en activité. Sous la pression des invectives et protestations sur les médias sociaux en ligne, le skate-park décide de fermer l’installation ainsi interprétée comme une incitation à la violence faite aux femmes… Son œuvre a même disparu… de son propre site.

Pour aller plus loin : Art Press n°482 – novembre 2020 – polémique au skate-park – Etienne Hatt

Ces exemples peuvent prêter à penser que l’art contemporain n’est visiblement pas (plus ?) partout perçu comme un ensemble de formes de questionnement du monde mais semble être victime d’une lecture interprétative au premier degré (le degré zéro de la pensée ?). La rupture semble forte entre un public qui n’est pas guidé vers une lecture critique des œuvres et l’art contemporain. Cela doit sans aucun doute affirmer la nécessité d’éduquer, d’outiller un regard critique qui ne se satisfait pas d’une approche simpliste. L’artiste et les objets qu’il crée ouvrent des questionnements (et des yeux). Faut-il dès lors accepter de les refermer (les questionnements comme les yeux) ?