Arts populaires, arts vernaculaires, arts modestes publié le 04/07/2019

Entretien avec Hervé Di Rosa

« Comme artiste, comme quêteur inlassable de formes et techniques artistiques de par le monde, comme collectionneur, comme inventeur des arts modestes et fondateur du Musée International des Arts Modestes (MIAM) à Sète, nul mieux qu’Hervé Di Rosa ne peut initier une réflexion sur l’art populaire  »
Photo de la conférence avec Hervé Di Rosa

Henri de Rohan-Csermak et Hervé Di Rosa

Hervé di Rosa pose la question de la nature de l’art populaire à travers la définition de différents termes .
La première formation artistique est celle à laquelle on est confronté très jeune à travers la publicité, les magazines, cet art populaire forme l’esthétique de beaucoup de gens.
L’art populaire constitue une source d’inspiration énorme et souvent inavouée pour les artistes, le Pop art américain l’a revendiqué le premier mais bien avant de nombreux artistes s’en sont nourri comme le Caravage.
L’art modeste c’est ce qui n’est pas vraiment dans le territoire, ce qui est à la marge, à la périphérie. Le jouet est un de ses territoires.
Henri de Rohan-Csermak   : Le terme populaire n’apparaît presque jamais dans vos écrits. Vous parlez plutôt de vernaculaire.
Hervé Di Rosa  :L’art vernaculaire vient davantage de la tradition , des savoir- faire.
Dans l’art modeste il y a aussi les productions de l’underground (rock indépendant, fanzine...)
La contre-culture serait davantage réservée à une élite mais qui n’aurait pas forcément la connaissance de l’histoire de l’art.

Photo de la conférence avec Hervé Di Rosa, détail architecture du lieu

Présentation dans la chapelle de la Trinité, Fontainebleau
Henri de Rohan-Csermak  : Pourtant vous avez des références très précises  : Mozart, le Baroque..
Hervé Di Rosa   : L’art populaire a formé une grande partie de mon esthétique. Pendant longtemps je n’avais vu Matisse qu’en reproduction. Il a fallu attendre 24 ans, c’est-à-dire mon arrivée à Paris pour comprendre que Matisse était aussi une matérialité, des traits de crayon.
On peut toujours lier l’art moderne à des sources d’inspiration populaires multiples, beaucoup de trouvailles y sont puisées. On parle rarement de ses sources d’inspiration.
Pendant longtemps l’art populaire a été exclu de l’histoire des arts. Mes classements ne sont pas verticaux mais horizontaux. Ce qui prime c’est la manière dont le regard va transformer la perception d’un objet en émotion , en cela le musée des arts modestes est un laboratoire d’expérimentations.
Au MIAM des objets apparemment antinomiques ont en réalité beaucoup de points communs et procurent une émotion marginale dont il ne faut pas avoir honte. Ces choses qui n’avaient rien à voir ensemble finissent par constituer des récits. Le collectionneur qui trouve un fanzine rare ou l’amateur de punk qui tombe sur le vinyle qu’il cherche peut ressentir une émotion qu’il ne faut pas négliger. Comme une enfant devant une surprise Kinder.
Parfois des œuvres d’art populaire finissent par avoir plus de valeur que des œuvres d’art , un original de Hergé par exemple.

Carte présentée sur les arts populaires

Hervé Di Rosa Carte des arts modestes
Henri de Rohan-Csermak  :On a accusé l’art populaire de servir le mercantilisme .
Hervé Di Rosa   : Il n’y a pas d’histoire dans les objets créés à des fins minables mais pourtant il y a une émotion qui en émerge. Ce mercantilisme, cette artificialité est sans histoire néanmoins elle suscite de l’émotion.
La production devient modeste à partir du moment où l’on pose le regard dessus.
L’art brut de Carlo Zinelli ou d’ André Robillard par exemple ont été méprisés à un moment, adulés à d’autres tout est une question de perception .
Henri de Rohan-Csermak  : Vous produisez des images, mais la main a une importance pour vous. Vous êtes peintre.
Hervé Di Rosa   : Je suis peintre mais je fabrique des objets et des sculptures., je suis aussi passionné d’images imprimées.
La seule chose qui ne soit pas reproductible c’est l’art . L’art populaire est reproductible.
Mais voir la reproduction d’une œuvre n’a aucun intérêt c’est le contact avec l’oeuvre qui doit primer.
Aujourd’hui ce qui différencie les artistes c’est la manière de produire des œuvres et de les distribuer , certains artistes se rendent toujours dans les mêmes biennales.
Entre l’art modeste et l’art contemporain il y a les mêmes techniques, les mêmes publications dans les journaux etc, mais la différence réside dans la production et la distribution. Prenons l’exemple de Jeff Koons , il y a des ressemblances avec mon travail mais la manière de diffuser est différente et la démarche presque contraire. C’est un artiste de production.
L’étape de la production est essentielle.
Lorsqu’il s’agit d’une machine la production se rapproche au plus près de la maquette, avec des artisans c’est le contraire, au Cameroun par exemple où il y a des centaines d’ateliers de reproduction de masques et de fétiches, il n’y a jamais d’imitations parfaites . Quand je vais au Cameroun pour réaliser en grand mes maquettes ce qui m’intéresse c’est la façon dont mon travail peut-être changé tout en restant le mien
Henri de Rohan-Csermak « Regrettez-vous la démarche ethnologique  ?  »
Hervé Di Rosa : La culture anglo-saxone n’ impose pas de limites alors que les limites sont constructives. Les ouvertures constituent des brèches dans lesquelles s’engouffrent des choses qui ne sont pas forcément les meilleures. Mais faut-il poser des limites artificielles uniquement pour avoir des limites  ?
Faut-il s’arrêter aux frontières de l’aire visuelle  ? Histoire de l’art ou histoire des arts, qu’est-ce qui mérite d’être recevable  ?
A l’heure actuelle les arts contemporains regroupent tous les moyens d’expressions, cela peut être génial mais parfois non.
Toutes les frontières ont des territoires mais celles de l’art modeste sont malléables.
« La peinture s’arrête au 19ème siècle  » après on a fait des images.
Je défends l’image et la pratique, l’artisanat ; cela a développé une passion pour le travail de la main.
Sur les techniques.


Hervé Di Rosa manifeste le désir d’apprendre des techniques exta-européennes très diverses (laques du Vietnam, sculptures de tressages du Cameroun ) mais lorsque ces techniques spécifiques sont trop longues à acquérir il délègue la fabrication de ces éléments qui feront partie de ses sculptures.
Il travaille parfois avec des micro ateliers au Cameroun en leur fournissant des dessins en perspective, la conception du volume n’est pas toujours entendue de la même façon par les artisans qui les interprètent . Faute de cette compréhension spatiale, ils créent à leur façon et créent ainsi un élément de surprise, « d’un coup il y a autre chose que moi, un genre de méta moi »il arrive à Hervé Di Rosa de laisser intactes ces sculptures hybridées par le travail des artisans .

Photo en médaillon d'Hervé Di Rosa

Les œuvres sont des « scories  » c’est ce qu’il reste de la relation entre l’artiste et l’artisan. Cet élément de surprise crée l’oeuvre. L’artiste , lorsque son travail n’est pas greffé de ces apports extérieurs ressent paradoxalement un certain manque.
Le hasard c’est la rencontre avec l’autre, l’œuvre est une œuvre de métissage et d’apprentissage, tout le travail est basé sur la recherche et l’expression, Dubuffet dit par exemple comment il mélange des matériaux qui ne doivent pas être mélangés (peinture à l’huile et acrylique par exemple)
Il attendait les effets qui pouvaient découler de ces mélanges hasardeux.
« Je ne cherche pas je trouve  !  » Moi, c’est le contraire , c’est de chercher qui m’intéresse.
Il s’agit de lever les barrières très établies entre savant et populaire. On s’est beaucoup battu pour abattre les hiérarchies. L’art populaire s’appuie sur ce dialogue.
L’art populaire demande parfois des compétences et techniques extrêmement savantes, ce sont des technologies extrêmes faites avec très peu de moyens.
Il y a par exemple une science énorme dans la musique populaire mais qui ne passe pas par les canaux de la musique savante , conservatoire, partitions, solfège... les artistes témoignent néanmoins d’une grande virtuosité.

Hervé Di Rosa va chercher une forme de science auprès de ces artisans. Au Vietnam par exemple il faut dessiner de façon très précise et remettre les dessins six mois avant , au Cameroun les techniques sont également très exigeantes.
Marchandisation
L’élément perturbateur est la marchandisation. On pense aux cadeaux Bonux ou Happy meal fabriqués par des enfants en Chine. C’est quand l’objet sort de la campagne publicitaire qu’il devient intéressant.
La nécessité de vendre amène à trouver des solutions esthétiques dans l’art populaire.

Au XIX ème siècle les premiers folkloristes qui sont allés chercher les arts populaires parlent d’un véritable plaisir.
Hervé DI Rosa cherche à dégager une énergie positive de plaisir et de joie
La peinture lui a permis d’échapper à des moments difficiles ; il cherche maintenant à retransmettre cette dynamique, le MIAM est comme une peinture sans peinture , son œuvre.
La compréhension des choses passe par les objets dans le musée Carnavalet on comprend que l’histoire ce n’est pas qu’un drapeau mais tous les objets qui ont été préservés  : des poupées, des cartes faites à la main, des papiers de bonbons , des choses très fragiles .
Le MIAM n’a été créé que pour une seule chose  : diriger le regard et diriger l’émotion. Voir qu’il y a de l’émotion dans les objets qui semblent anodins est important. Tout le monde aujourd’hui a son temple d’objets souvenirs, de tourisme.

Alayne Gisbert-Mora