Fascinante Italie – De Manet à Picasso 1853 – 1917 - Musée des Beaux-arts de Nantes, du vendredi 20 novembre 2009 au lundi 1er mars 2010 publié le 20/02/2015

Catalogue et essais sur l'exposition fascinante Italie

Il y a quelques années de cela je retrouvais un petit camarade de communale où nous essuyâmes hardiment les bancs de nos fonds de culottes courtes, à l’époque, été comme hiver. Passionné de peinture et taquinant l’huile avec talent et plus assidument que je ne m’autorise, il me fit découvrir, le 31 Janvier au soir, le livre édité à l’occasion de cette exposition. Plus tard dans la soirée, autour d’un convivial fois gras, nous décidâmes de nous offrir une petite sortie au musée de Nantes afin de découvrir cette superbe exposition. Rendez-vous fut pris. Nous allâmes dominicalement à Nantes nous fasciner de peinture. Nous réservâmes pour cette occasion une conférence pour quelques sesterces de plus.
J’ai trouvé l’idée fort séduisante de se laisser guider savamment sur les œuvres majeures de l’exposition, C’était une première et je pense que récidiverai l’expérience vue l’ampleur de mon ignorance.

Affiche : Fascinante Italie

Venons-en au fait : c’est une très chouette d’expo et avouons-le promptement, elle m’a littéralement emballée. Faut absolument ne pas manquer ce rendez-vous, en plus, pour nous les poitevins, Nantes ce n’est pas loin. Vous me direz que je suis un public facile qui s’enflamme pour la moindre croûte. Certes et surtout lorsque cela fait quelques mois passés sans s’être délecté d’une quelconque huile bien ficelée ou bien d’avoir fait abstinence d’une mine de plomb bien plantée. Ici, j’en ai eu pour mon argent, et je peux vous assurez l’honnêteté du coup de cœur.

« Fascinante Italie » se décompose en deux axes d’influences et de recherches artistiques entre 1853 et 1917. Le premier axe met en lumière les liens entre l’Italie et les artistes français par le voyage qu’ils entreprennent et relatent dans leurs carnets de dessins puis dans leurs œuvres. Nous retrouverons ici les meilleures des aquarelles de Cross, des dessins et peintures de Manet, des œuvres de Signac, Renoir, Maurice Denis, Monet, Kandinsky. La figure de l’italienne retient aussi l’attention de Carpeaux, du peintre Henner ou Van Gogh avec la superbe « L’Italienne » de 1887. Ce dernier n’ayant jamais mis le nez en Italie marque sa toute sincère fascination pour la trop fascinante italienne, maîtresse d’un instant, tenancière du restaurant Le Tambourin à Clichy, et modèle des plus grands du moment.
Le portrait enfin (Carolus-Duran, Degas) sans oublier la copie (Gustave Moreau, Degas) nous offrent des œuvres, des aquarelles et des dessins du plus grand intérêt.
Le deuxième axe se fonde sur les thématiques littéraires, religieuses et historiques de l’Italie avec les œuvres de Paul Baudry, Gustave Dorée, Jules-Ely Delaunay et particulièrement Rodin et Carpeaux autour de la Divine Comédie de Dante. L’exposition se clôt avec le rideau de scène pour le ballet « Parade » de 1917 exécuté pour Diaghilev par Picasso. Des dessins, toujours aussi captivant, nous rappellent l’influence importante qu’eut sur son œuvre, l’art italien antique (Etrusques, romaine) par son voyage à Rome en 1917 et aussi les relations importantes qu’il eut avec les futuristes italiens et les répercussions notables qu’elles eurent sur le cubisme.
J’en oublie certainement tant l’exposition est riche.


Quelques œuvres à citer au passage dont je me suis délecté la rétine et régalé la cornée. Tout d’abord les célèbres « Gondoles à Venise » de Claude Monet dont on peut admirer un exemplaire remarquable de sa « suite vénitienne », chef-d’œuvre appartenant notamment au musée des Beaux-arts de Nantes, légué par Georges Clémenceau lui-même. En quelques coups de pinceaux tout y est jusqu’à l’horizon que l’on devine, au bout d’un moment, dans la brume blanchâtre de la lagune. On y observe le même phénomène perceptif qu’avec les « Meules » ou les « Cathédrales ». Les recherches chromatiques de Monet propres à rendre l’atmosphère d’un lieu, ses conditions climatiques dans un temps donné nous procurent, au tout premier plan, l’impression d’un mouvement de l’eau à l’endroit même des reflets de la gondole. En changeant d’angle de vue, l’impression s’intensifie tant par le jeu du cadrage serré sur la gondole, de la fuyante importante de son dessin que par la force du contraste brume/gondole/reflets.

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« Un paysage de Venise » d’Odilon Redon sur le même mur appartenant au musée des Beaux-arts de Bordeaux nous évoque une atmosphère où l’eau de l’orage est toute prête à éteindre le peu de lumière filtrant encore entre les nuages. Une impression de sourde intensité lumineuse s’en dégage par une solide composition de deux succinctes lignes de bleu et d’ocre des maisons et de barques échouées. Evocation de la lagune ? Peu importe Venise, le peintre est venu chercher en ce lieu ses recherches sur la lumière, problématiques dirions-nous contemporainement.

Odilon-Redon

Deux peintures de Kandinsky très étonnantes, réalisées en 1903 et intitulées « Venise n°3 » (canal à Venise) et « Venise n°4 » (pont du Rialto). Ces deux œuvres ont été peintes deux ans après son séjour à Venise d’après des photographies de son amie Gabriele Münter et nous fait songer à une ornementation orientale. La couleur y est cloisonnée, synthétisant les effets de reflets et rappelant la technique de la broderie des arts populaires russes.

« La voile jaune (Venise) » 1904 de Paul Signac au pointillisme chatoyant et au ciel complémentaire à la voile (jaune/violet) m’a réconcilié définitivement avec le divisionnisme. La somptueuse palette de Signac est tout simplement succulente, aussi, je m’en suis fait un festin ; la touche divisée et très distincte au premier plan va, en s’estompant au lointain où l’on peut percevoir encore la cité des Doges et, n’a de cesse de nous toucher aux bonheurs élémentaires de la vision.


Deux œuvres de Maurice Denis m’ont profondément captivé : « La vasque de la villa Médicis » de 1898 inspirée d’une peinture de Corot (même composition, même contre-jour) et « Milan, un soir de victoire » de 1916 où la silhouette gris/violette de la cathédrale occupe telle une ombre tout l’arrière plan de la toile tranchant sur un fond bleu/vert. En haut à gauche, un rond lunaire vient en écho au rond d’un lampadaire, vers le point d’or bas/gauche, dont l’éclairage blafard renforce le passage du tramway jaune et bleu sur toute la longueur de la toile et, ponctue les visages des personnages du square occupant tout le premier plan.

Maurice Denis, Milan un soir de victoire, 1916

« Le port de Naples » 1909 d’Albert Marquet où l’on contemple le Vésuve, baigné d’une brume de chaleur, remplissant tout l’arrière plan du tableau. Le peintre qui s’est attaché à travailler sur l’automatisation de la couleur, nous livre une œuvre dominée par une composition solide et charpentée où un petit drapeau rouge triangulaire sur l’extrême bas gauche vient tonifier et diriger le regard sur la tonalité générale de couleurs sourdes d’ocre/brun, brun/violet du port de Naples aux reflets verts des voiliers.

Albert Marquet, Port de Naples

L’exposition présente aussi des aquarelles superbes d’Henri-Gaston Béthune, de Charles Toché et de Cross que j’avoue, méconnaître jusqu’alors. Des petites choses dont on ne se lasse point de contempler.

Les œuvres de copies nommées dans le catalogue « La mémoire des maîtres » sont tout aussi remarquables On peut y admirer une copie réalisée par Alexandre Cabanel du « Concert champêtre » encore à l’époque attribué à Giorgione dorénavant (mais pas définitivement ?) alloué à Tiziano Vecellio dit le Titien.
Une copie fascinante de Mantegna dite « La Crucifixion du Louvre » réalisée par Degas, nous délivre une scène où les personnages du premier plan à l’esquisse rugueuse se dégagent d’un ciel moutonné de petits nuages qu’on croirait presque en mouvement.

Edgar Degas, copie de "La crucifixion du Louvres" de Mantegna

Des dessins de Gustave Moreau d’après Carpaccio et des dessins d’Edouard Manet d’après Andréa Del Sarto et Ghirlandaio n’ont fait qu’aggraver mon admiration pour le trait de ces deux maîtres. A ce stade, le délice fut à son acmé me transportant tout net dans un état de félicité extrême, de joie et de volupté intenses m’enduisant dans de bien cruelles songeries.
Toujours dans ma liste des œuvres saisissantes de cette passionnante exposition, une superbe peinture en grisaille de Gustave Doré « Les trois juges de l’Enfer » (1868) qui ne sont que Minos, Eaque et Rhadamanthe et n’en rappelle pas moins l’attrait de l’artiste pour l’Enfer de Dante. Le puissant clair-obscur par son absence de couleur renforce l’effet de trompe-l’œil digne des meilleurs Rubens.
Afin de clore l’étendue « du coup de cœur » qui fait l’article et toujours à propos de Dante et de la Divine Comédie, citons deux plâtres magnifiques « d’Ugolin et ses enfants » de Carpeaux et de Rodin. L’œuvre de Carpeaux construit d’une matière brute faite d’agglomérats de plâtre, d’où l’on voit émerger la scène macabre et ces acteurs, se révèle comme un non finito qui n’est pas s’en rappeler Michel-Ange et, accentue plus intensément le drame qui s’accomplit.

Carpeaux, "Ugolin dévorant ses enfants"

Puis vient le plâtre de Rodin où Ugolin apparait penché comme un animal sur ses enfants morts, prêt à assouvir son atroce faim qui lui donnera immanquablement son billet pour l’Enfer. Souhait exhaussé par l’archevêque de Pise. Du dantesque ! Et pour cela il ne pouvait y avoir que l’art de Rodin pour arriver à porter à son paroxysme l’intensité dramatique du récit de Dante.

Rodin, Ugolin et ses enfants

Avant de reprendre la route pour rejoindre vos pénates, n’oublier pas de vous offrir le catalogue (qui est plutôt un livre) de l’exposition édité chez Gallimard, livre qui m’a bien épaulé pour la rédaction de cet article. Ce livre est composé de plusieurs essais, forts documentés et très appréciables pour les précisions qu’ils apportent au contexte historique et artistique de cette époque, dont voici ci-dessous la liste des titres :

Le lieu et la formule d’Isabelle Julia ;

La difficile construction nationale italienne et ses rapports complexes avec la France, 1856 – 1915 d’Angelino Morabito ;

Avec Edgar Degas et Gustave Moreau, Julie-Elie Delaunay en Italie (1857-1861) de Cyrille Sciama ;

Le voyage en Italie des impressionnistes et post-impressionnistes de Maria Grazia Messina ;

Piero della Francesca et la peinture française : de Puvis de Chavannes à Matisse de Luciano Cheles ;

Dante et les artistes d’Antoinette Le Normand-Romain ;

La peinture décorative et les modèles italiens de Blandine Chavanne ;

Picasso (1905-1917) de Venise à Pompéi, de Fra Angelico à Depero de Caterina Zappia.

Sans oublier de visiter le musée des Beaux-arts de Nantes et découvrir ou redécouvrir les œuvres merveilleuses qu’il recèle. Objet d’un autre article…

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