Berlin : la ville de toutes les promesses publié le 20/05/2019

"J’ai rencontré Maya le 30 décembre 1989. Pascal et moi étions arrivés à la gare de Berlin Zoologischer Garten le matin même, la mine pâteuse, le cerveau encore embrumé par des effluves d’alcool, survoltés malgré la fatigue après une courte nuit passée dans le train en compagnie d’autres touristes impatients de participer à la fête. Les bouteilles de bière, de vin et de mousseux avaient circulé entre les compartiments et les wagons de la frontière belge. Nous avions communié car nous croyions tous à l’illusion d’un rendez-vous du monde entier sur la scène de l’Histoire. Berlin l’exubérante ressuscitait, elle portait des habits d’apparat, une sorte de carnaval improvisé au rythme cacophonique des masses et des maillets contre le béton, la liesse et une réelle insouciance partout dans les artères de la ville en pleine effervescence, dans les bars et les cafés, un bouillonnement, une excitation juvénile dans l’atmosphère. Nous nous sommes tout naturellement mêlés à l’allégresse générale, pourquoi ne pas arracher quelques morceaux de ciment graffités à emporter comme autant de trophées pour dire fièrement, plus tard, que nous avions été de la partie."

C’est sur ces notes que s’ouvre "Berlinoise", la symphonie d’un nouveau monde composée en 2015 par le romancier, dramaturge et musicien français d’origine congolaise William N’Sondé.
Ses personnages, Stan, Pascal, Clémentine et Maya, sont tous des artistes (musiciens ou peintre) qui se cherchent dans une ville en pleine métamorphose. Ils tentent tous de combattre avec leurs armes la montée de la xénophobie. Et Stan de confier : "jamais je n’aurais pu imaginer que la flamme du renouveau née à Berlin, ville en ébullition, vacillerait sous les assauts de la haine de l’autre devenue violence et rejet." (p.17) "Depuis plus de douze mois déjà, les mots de changement, de liberté et de réunification étaient sur toutes les bouches, l’heure était à la liesse et à l’avènement d’un monde meilleur. Pourtant le racisme avait tué dans la rue." (p.113)

 William N’Sondé nous livre un roman étincelant, fort, nourri de son histoire personnelle (il a vécu 25 ans à Berlin). Il nous gratifie de magnifiques pages au lyrisme débordant qui font la part belle aux moments de bonheur et d’insouciance. Mais il n’en demeure pas moins vrai que la grisaille et l’obscurité viennent vite ternir l’allégresse générale. Un bonheur éphémère à l’échelle du couple Maya Stan car "La face cachée de la révolution de novembre 1989 s’invitait une fois de plus à la table de notre idylle." (p.134)

Berlinoise (2015), William N’Sondé, Babel, 2019, ISBN 9782330117139, 6,80 euros