Discours de Mme Vallaud-Belkacem 8 juin 2016 publié le 10/06/2016

Monsieur le Plénipotentiaire, cher Olaf Scholz,
Madame la Présidente,
Monsieur le recteur de Paris, cher François Weil,
Madame la directrice générale de l’enseignement scolaire, chère Florence,
Madame la déléguée ministérielle au renforcement de l’apprentissage de l’allemand, chère Sandrine Kott,
Mesdames et Messieurs les Ministres de l’éducation des Länder,
Mesdames et Messieurs les Rectrices et les Recteurs,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,

Entre nos deux pays, existe une longue histoire.

Une histoire scandée par des guerres, mais aussi par des échanges culturels et intellectuels forts.

Une histoire entrée, depuis le traité de l’Elysée, dans une période de paix. Et cette paix est d’autant plus précieuse que nous connaissons le prix effroyable de nos guerres.

Quelques semaines après les cérémonies de Verdun, nous pouvons être fiers d’avoir accompli le vœu de ces soldats morts dans la boue et l’horreur des tranchées.

Oui, de lettres en lettres, d’écrits en écrits, côté allemand comme côté français, un vœu revient sans cesse : celui de voir les générations futures épargnées par l’atrocité qu’ils ont eux-mêmes vécue.

Dans cette relation d’amitié, l’apprentissage de la langue de l’autre est un enjeu essentiel.

Je regrette d’ailleurs de n’avoir pu assister à votre première séance de travail, tant cette question, à mes yeux est importante.

Plus d’élèves français qui apprennent l’allemand, et plus d’élèves allemands qui apprennent le français, voici les piliers solides sur lesquels s’appuyer pour inscrire notre amitié dans un futur durable. Si notre histoire commune est longue, notre avenir doit l’être tout autant.

Dans la Stratégie Langues Vivantes que j’ai lancée en janvier dernier, l’Allemand a donc eu, tout naturellement, une place à part.

D’ailleurs, cette stratégie a été annoncée officiellement le 22 janvier dernier, à l’occasion de la journée de l’amitié franco-allemande, en présence d’Olaf Scholz, que vous me permettrez de remercier ici à nouveau. Cette date et cette présence ne devaient bien sûr rien au hasard, et tout à mon attachement à l’enseignement de l’allemand en France.

Et parce que l’amitié se forge non seulement par les discours, mais aussi par des faits et par des chiffres précis, je me permettrai, ici, d’en rappeler quelques-uns.

Oui, j’ai souhaité, concernant l’apprentissage de l’allemand, fixer des objectifs ambitieux au niveau national.

Les recteurs vous le confirmeront : c’est là un point sur lequel j’ai eu l’occasion d’insister devant eux à plusieurs reprises. Grâce à leur mobilisation pour le développement de l’allemand dans le cadre des nouvelles cartes académiques des langues, ces objectifs sont atteints.

À la rentrée 2016, plus de 3 800 écoles élémentaires proposeront donc un enseignement d’allemand. C’est 1 000 écoles de plus qu’aujourd’hui !

À la rentrée 2016, près de 4 700 collèges proposeront l’allemand en LV2. C’est près de 700 collèges de plus qu’aujourd’hui.

À la rentrée 2016, 2 300 collèges proposeront un dispositif bi-langue anglais/allemand.

Je tiens également à saluer le rôle joué par la professeure Sandrine Kott, qui a accepté la délicate mission de déléguée ministérielle au renforcement de l’apprentissage de l’allemand, dans cette mobilisation réussie.

L’ambition qui est la mienne s’agissant de l’enseignement de l’allemand est également animée par une conviction : celle de l’enrichissement considérable que constitue l’apprentissage des langues vivantes, y compris pour la maîtrise de la langue française.

Goethe lui-même ne manquait pas de le souligner : "Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiß nichts von seiner eigenen", ce que l’on pourrait traduire par : "Celui qui ne peut pas parler une langue étrangère, ne connaît rien de sa propre langue".

Voilà pourquoi j’attache, à l’apprentissage des langues, une importance particulière. Et je sais pouvoir, dans ce domaine, compter sur une véritable réciprocité de la part de l’Allemagne.

Mais au-delà de la langue, un autre enjeu nous rassemble aujourd’hui : je veux bien entendu parler de la scolarisation des réfugiés et des migrants.

Cet enjeu n’est pas nouveau. Nous avons déjà, dans ce domaine, avancé, notamment en inscrivant dans la loi le principe de l’École inclusive.

Mais cet enjeu, nous le savons bien, prend, dans le contexte actuel, une importance particulière. C’est pour notre tradition humaniste, pour nos convictions, un véritable défi.

Il est tentant de se contenter d’apporter, à cette situation, des réponses d’ordre uniquement sécuritaire. Mais ce serait céder à la facilité.

Ce serait préférer l’immédiateté d’une solution précaire et fragile à la pérennité d’une réponse, certes, plus exigeante, mais qui est aussi plus durable.

Cette réponse, c’est celle de l’éducation, de la formation et de l’enseignement.

Voilà pourquoi nous avons souhaité inscrire la question de l’intégration éducative des migrants et des réfugiés à l’ordre du jour de cette réunion. Car les solutions ne viendront pas sans une véritable coordination, un partenariat et un dialogue constant entre nos deux pays.

C’est ce que rappelle justement le rapport de Jean-Marc Ayrault et d’Annegret Kramp-Karrenbauer pour promouvoir l’intégration au sein de nos sociétés, remis au Président de la République et à la chancelière lors du 18ème Conseil des ministres franco-allemand qui s’est tenu à Metz le 7 avril dernier.

À ce sujet, je salue et je partage l’approche et l’objectif du gouvernement fédéral allemand qui est, je cite : "l’intégration par la participation, ce qui signifie que la politique d’intégration n’est pas menée pour 16 millions de personnes issues de l’immigration, mais pour la totalité des 81 millions de personnes en Allemagne."

Car nous avons, aujourd’hui plus que jamais, besoin de liens et de cohérence, non seulement entre les différents pays, mais au cœur de ceux-ci.

Oui, il y a un défi, ici, à relever ! Et il est difficile !

Car, naturellement, l’intégration rapide d’un nombre aussi considérable de réfugiés pose d’évidents problèmes d’accueil et de mobilisation des services et de l’ensemble de la société civile.

Il serait vain de prétendre le contraire.

Il serait dangereux de s’aveugler sur ce fait.

Mais il serait tout aussi vain et dangereux de ne pas voir les opportunités que constituent, sur notre sol, l’accueil et l’intégration des réfugiés et des migrants.

Ces femmes, ces hommes et ces enfants qui ont fui des pays en guerre sont aussi, pour nos sociétés, des atouts.

De quoi rêvent-ils, ces femmes, ces hommes et ces enfants ?

Ils rêvent de paix. Ils rêvent de stabilité. Ils rêvent de prospérité. Ils viennent chassés par la violence. Ils ont quitté, très souvent, des situations professionnelles établies.

Ce ne sont ni des saints, ni des criminels. Je me méfie autant des discours stigmatisants que des propos angéliques. Ce qui m’intéresse, c’est la réalité, forcément complexe, d’une situation. Et la réalité, ici, impose un seul constat : ce sont des êtres humains.

À ce titre, ils ont des droits, qu’il nous appartient de respecter. Et parmi ceux-ci, le droit à l’Éducation.

J’ai vu ce que parviennent à faire des enseignants dans les classes pour les allophones récemment arrivés en France. J’ai vu ce qui se déroule, au quotidien, dans les classes d’accueil. Cela me donne beaucoup d’espoir pour l’avenir.

Et cela doit nous rappeler que nos deux pays ont en commun une grande confiance dans l’enseignement et l’éducation ; une confiance méritée ; une confiance que nous ne devons jamais perdre, à aucun prix.

Un enfant qui franchit le seuil de l’école n’est plus tout à fait un enfant : c’est un élève.

Et si l’École ne reconnaît, en son sein, que des élèves, c’est parce qu’elle est fondée sur un principe de non-discrimination.

C’est parce qu’elle s’adresse à eux, d’abord, comme des êtres humains. Et évidemment, il est essentiel que les enfants de réfugiés et de migrants puissent, dans notre système scolaire, bénéficier de l’éducation prioritaire. Parce qu’ils constituent, à bien des égards, une priorité.

La crise des réfugiés et des migrants est la face sombre de la mobilité internationale, en ce XXIème siècle commençant. Il est essentiel d’en tenir compte, et de ne jamais chercher à la masquer.

Mais il est important, aussi, de regarder une autre facette de la mobilité : celle qui conduit de plus en plus de jeunes à apprendre et à se former en bénéficiant des apports de nos deux pays.

Cette question fera l’objet des travaux de cet après-midi, mais je tiens d’emblée à vous dire à quel point je suis satisfaite devant le travail réalisé par l’Office franco-allemand pour la Jeunesse et par le Secrétariat franco-allemand pour les échanges en formation professionnelle.

Ils se sont en effet mobilisés d’une façon exemplaire pour que les programmes franco-allemands d’échanges et de mobilité bénéficient prioritairement aux populations les moins favorisées.

Aujourd’hui, 34% des collèges et des lycées français disposent d’un établissement partenaire allemand. Ils ne sont que 12% à avoir un partenaire espagnol, et 11% possèdent un partenaire britannique.

Ce pourcentage de 34% est donc, vous le voyez, loin d’être anodin. Mais je pense que nous pouvons aller encore beaucoup plus loin.

Aussi, je tiens à profiter de cette occasion pour rappeler aux recteurs français que j’ai fixé pour objectif que 100% des collèges et des lycées français disposent d’un partenaire européen dès 2017. Et je souhaite que les partenaires de beaucoup d’entre eux soient des établissements allemands.

C’est, là encore, un objectif ambitieux. Mais c’est aussi, soyez en sûrs, un objectif nécessaire.

Car une véritable politique en faveur de l’apprentissage des langues passe nécessairement par des partenariats internationaux. Les connaissances se consolident à travers des échanges réguliers.

Ces liens se tissent d’ailleurs d’autant plus aisément aujourd’hui que nous disposons, avec la révolution numérique, d’outils de communication à la fois simple d’utilisation, et de grande qualité.

Articuler rencontres physiques et échanges à distance produit d’excellents résultats. Nous en avons encore eu la preuve récemment.

En effet, l’opération "Verdun 4 000 jeunes", qui a vu, du 26 au 29 mai, des élèves français et allemands cohabiter au sein du village franco-allemand, avait été précédée d’un certain nombre d’échanges entre les classes frontalières.

Alors, certes, rien ne remplace l’émotion et la force d’une rencontre, face-à-face, dans un même lieu.

Mais le passé nous a offert aussi de nombreux exemples de la force d’une relation épistolaire, et le courriel n’a, dans ce domaine, rien à envier au courrier.

Oui, il serait dommage de rompre les liens puissants qui ont été façonnés à l’occasion du centenaire de Verdun.

Je tiens donc, monsieur le Plénipotentiaire, madame de la présidente de la KMK, à vous faire la proposition suivante : que les classes tandems formées pour le projet "Verdun, 4000 jeunes", continuent de fédérer des projets de jeunesse autour de l’éducation à la citoyenneté européenne et de l’éducation à la paix.

Ainsi, Verdun, après avoir été, pour nos deux pays, une déchirure, deviendra, pour notre jeunesse, le ferment de leur unité, et un lien durable.

Un lien qui sera donc, pour l’avenir, à l’image de la relation d’amitié qui unit désormais nos deux peuples.

Du moins tant que nous ne serons pas amenés à nous recroiser sur les terrains de foot de l’Euro 2016 !

Je vous remercie.

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Auteur

 Sèverine GRILLET

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