Un huis clos historique en terre badoise : "Sigmaringen" de Pierre Assouline publié le 10/02/2014

 Le journaliste et écrivain français Pierre Assouline refait parler de lui en ce début d’année 2014 : après son rapport sur la condition du traducteur (2011), "Sigmaringen", son dernier livre dédié à un pan méconnu de l’histoire française, trouve un écho grandissant auprès des lecteurs. Les critiques, nombreuses, qui encensent à juste raison ce roman nourri de faits historiques et doublé d’une grande érudition (il suffit de regarder la bibliographie pour s’en convaincre) ne sont certainement pas étrangères à ce succès éditorial.

 Revenons sur les faits : septembre 1944, le gouvernement de Vichy en déroute avec à sa tête le maréchal Pétain et son vice-président Laval trouvent refuge dans le château des princes de Hohenzollern à Sigmaringen, réquisitionné par Hitler. "Pour complaire aux circonstances et entretenir l’illusion d’une continuité de l’Etat entre feu le gouvernement de Vichy et sa résurrection entre nos murs, le château de Hohenzollern était surmonté d’un drapeau étranger pour la première fois de son histoire." (p.74) Cet épisode douloureux qui durera de septembre 1944 à fin avril 1945 est vécu comme une expropriation par les habitants du château.

 Observateur d’un aréopage qui se donne en spectacle, le majordome Julius Stein, habitué à servir docilement la famille princière, décrit les complots, intrigues et autres querelles qui insufflent cependant un tantinet de vie au vaisseau fantôme posé sur les bords du Danube. "Je ne me suis jamais identifié avec quelque régime politique que ce soit. Ma vie est ailleurs, en moi plus qu’au dehors." confie Julius (p.66). Cet Allemand qui a fait le choix de l’immigration intérieure pose un regard distancié sur cette farce à la fois tragique et burlesque où s’agite une kyrielle de personnages politiques de renom (Pétain, Laval, Brinon, Doriot, Déat, Bonnard pour ne citer qu’eux). A ce petit jeu, le lecteur se perd un peu, il faut bien le reconnaître. En dehors du château, le village grouille de réfugiés français au nombre desquels figure le docteur Destouches alias Louis-Ferdinand Céline (p.210 à 214). Comme il fallait trouver un confident ou plutôt une confidente à Julius, Pierre Assouline a pris le parti d’introduire un personnage féminin au caractère bien trempé, Jeanne Wolfermann, l’intendante du maréchal Pétain. Entre eux se noue petit à petit une relation de complicité qui prend le tour d’une amourette platonique. Julius lui révèle le secret de sa passion pour la musique : "une voix reçue comme un don du Seigneur" (p.251), "la promesse d’une grande carrière" (p.252) contrariée trop tôt. "Tout concert public en dehors d’une enceinte religieuse est un hommage au pouvoir qui accorde le droit d’exister à ses conditions." (p.253) Julius, miné par l’obéissance, analyse avec perspicacité sa situation en 1945 : "Mon pays était devenu un cauchemar, une horreur, un scandale moral, mais c’était le mien. Imperturbablement francophile, je n’en demeurais pas moins viscéralement allemand. On ne transige pas avec son histoire, on ne négocie pas avec son âme : on s’accommode en attendant." (p.289)

Sigmaringen, Pierre Assouline, éditions Gallimard, 2014, ISBN 978-2-07-013885-2, 21 euros