Un Einstein peut en cacher un autre : "Le cas Eduard Einstein" de Laurent Seksik publié le 06/01/2014

 " Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution. ", écrit Albert Einstein en exil. Ce fils en question n’est autre qu’Eduard, le héros de ce subtil roman. Nul doute que Laurent Sekzik, médecin de son état, a réussi là un nouveau coup de maître après le succès de son livre "Les derniers jours de Stefan Zweig". A coups de phrases courtes et simples, dénuées d’artifice littéraire, il brosse le portrait attachant d’un jeune homme malade mais ô combien lucide sur son devenir. Il fait de lui un héros déchu avant l’heure, condamné à passer l’essentiel de sa vie au Burghölzli, un asile d’aliénés à Zurich, loin de la figure menaçante du père.

 Trois destins s’entrecroisent dans ce roman poignant :
— celui du père tout d’abord, ce génie traqué qui doit essuyer dans un premier temps le courroux des Nazis à Berlin au début des années 1930 avant d’être victime d’un lynchage en règle aux Etats-Unis,
— celui du fils ensuite, dont les journées s’écoulent mollement, rythmées par les conversations qu’il a avec les gardiens et les médecins et par les visites quasi quotidiennes de la mère,
— celui de la mère enfin, abandonnée à son triste sort, assumant seule la charge du fils malade et portant à bout de bras leur existence à tous les deux.

 L’ombre du père, omniprésente, plane d’un bout à l’autre de ce majestueux roman. On ne peut s’empêcher de penser à la figure tutélaire du père chez Kafka. Mais l’image d’Einstein père, ternie par la relation entretenue avec ce fils de l’ombre, ne ressort-elle pas écornée de ce roman ? Non, Einstein apparaît assurément comme un être tourmenté et humain, ce qui nous le rend attachant. Sekzik ne nourrit pas de rancoeur à l’égard de ses personnages, il se glisse en eux avec compassion. Il cherche à comprendre sans jamais juger.

 Certains passages peuvent faire l’objet d’une lecture oralisée en classe de 1ère et de terminale car ils illustrent parfaitement la problématique du génie scientifique pris au piège de l’Histoire (notions associées : l’idée de progrès, mythes et héros).
Les extraits ci-dessous éclairent certains aspects de la vie d’Einstein :
—  Berlin, 1930, Einstein dans la tourmente de l’Histoire : de p.30 "Berlin est devenu un coupe-gorge." à p.31 "Puis il avait retrouvé ce taxi à deux pas de l’Institut."
— Notoriété d’Einstein  : de p.63 "Il est seul dans le compartiment." à p.64 "Aujourd’hui, c’est un homme seul qui roule vers son malheur."
— Einstein, l’homme traqué : de p.85 "Il a quitté Berlin définitivement." à p.86 "Quelle est la part du vrai et la part de la folie ?"
— Situation d’Einstein aux USA : de p.114 "On raconte que des agents du FBI rôdent sur Mercer Street autour du 112" à "Des groupes américains rêvent toujours de le voir renvoyer en Allemagne."
— Réactions d’Einstein en août 1945 : de p.199 "On l’a invité en ce mois d’août 1945 à alller à New York pour fêter la victoire." à p.200 "Il refuse le rôle du mauvais génie."
— Lynchage en règle d’Einstein aux USA en 1950 : de p.247 "Le New York Post en date du 12 février 1950 titrait : "Déportez l’imposteur rouge Einstein !" à p.248 "Un ennemi des Etats-Unis."

Le cas Eduard Einstein, Laurent Sekzik, Editions Flammarion, 2013, ISBN 978 -2-0812-4857-1, 19 euros